Editorial : le Renouveau, une perpétuelle révolution

40 ans de pouvoir en ce 6 novembre pour Paul Biya. Le record est assez rare pour susciter ici et ailleurs des envolées épistolaires, des recherches universitaires, des célébrations, des livres, des débats et des analyses tantôt laudateurs, tantôt acerbes,

Evénement d’exception pour un homme d’exception, Paul Biya, dont le destin s’est identifié très tôt à celui de son pays le Cameroun, à l’âge où d’autres jeunes gens profitent de la vie dans l’insouciance et la légèreté. Un homme de vision, d’une indéniable capacité politique et morale, et toujours un cran au-dessus de la mêlée. Plus étonnant encore, le sort a voulu que sa présidence passe allègrement à travers les corridors du temps, enjambe le siècle des indépendances, meublé de luttes pour la souveraineté et la consolidation des Etats-nations. Pour se propulser au XXIe siècle, période par excellence de la maturation démocratique et du décollage économique, déterminants pour la viabilité future et l’affirmation internationale.
Après les 22 ans de magistère de son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo, le père du Renouveau aura donc semé et fait éclore en 40 années, tout le substrat politique, économique, culturel, philosophique qui fonde l’Etat moderne du Cameroun. Sa vision d’homme d’Etat que l’on peut qualifier de binaire, parce que façonnée à partir d’un double ancrage -  libéralisme communautaire, rigueur et moralisation - est le fil d’Ariane du Renouveau. En effet, libéralisme communautaire sous-entend libéralisme politique et économique doublé d’un projet social pour la communauté. De même le choix de partenaires internationaux nombreux et variés s’accompagne chez lui de la revendication implicite d’une autonomie de pensée et d’action pour le Cameroun. Cette vision fondatrice duale a irrigué et façonné les lois et règlements, les politiques, mais aussi l’action publique. Et même le mental si particulier de ses compatriotes. On comprend pourquoi l’expression « père de la Nation », si surannée et si décalée qu’elle puisse paraître, convient comme un gant à un tel homme d’Etat.
Néanmoins, on peut se demander si à l’heure de ce 40e anniversaire de l’accession à la magistrature suprême de Paul Biya, les seuls bilans comptables et prosaïques de l’action présidentielle demeurent pertinents. Une chose est certaine, le passé colonial et post-colonial parfois tragique du Cameroun, les luttes d’indépendance, l’assassinat des figures héroïques, l’amputation d’une partie du territoire au profit du grand pays voisin, mais surtout la séparation d’avec nos frères devenus nigérians ; oui, ce passé nous fait apprécier le chemin parcouru par le Renouveau, avec ses acquis : une société ouverte, plurielle, multiculturelle ; un climat politique apaisé, des institutions fortes, une démocratie qui n’est pas de façade, tant les libertés y sont ancrées, une économie en construction qui nous berce d’espérance pour l’avenir.
Pour toutes ces raisons, l’élan festif du 6 novembre devrait, nous semble-t-il, s’accompagner d’une réflexion prospective, car les bouleversements mondiaux de toute nature impactent fortement le Cameroun. Ainsi par exemple, dans quelques années, le Produit intérieur brut de la Chine surpassera celui des Etats-Unis. Le monde occidental s’en émeut, quand les nouveaux pays émergents appellent à l’avènement d’un nouvel ordre mondial, et s’y préparent. En Afrique, en est-on seulement conscient ? La résurgence fulgurante du terrorisme et des coups d’Etat donne à réfléchir. La grave crise sanitaire du Covid-19 et les conséquences de la guerre en Ukraine ont par ailleurs révélé les failles du Cameroun, et celles de nombreux autres pays africains, dans la sécurité alimentaire, la fabrication de médicaments et de nombreux produits manufacturés de première nécessité.
Les exégètes de ce 6 novembre doivent légitimement poser la question : le Renouveau est-il préparé à affronter les défis du futur ? Est-il toujours pertinent et efficace, 40 ans après ? Pour ce faire, on peut revisiter les moments-clés, l’idéal et la doctrine de base et les confronter à la réalité vécue. Ou mieux, interroger les gouvernés. Selon l’ouvrage-culte, Pour le libéralisme communautaire, écrit par Paul Biya, l’esprit du libéralisme communautaire est une combinaison de prospérité partagée, de justice et d’équité sociale, érigeant l’humain en finalité ultime de l’action politique. Au bout de 40 années, cet esprit a-t-il été trahi ? L’intérêt général a-t-il guidé l’action gouvernementale ? Les réponses peuvent varier, mais les réalisations innombrables de Paul Biya, aux plans de la construction aussi bien politique, institutionnelle, qu’économique, infrastructurelle et sociale, sur toute l’étendue du territoire national, sont le marqueur de la volonté politique dans ce domaine. Oui, les améliorations du quotidien des Camerounais sont notoires. Et pourtant, les besoins persistent, car le chantier de la construction nationale est titanesque.
Le problème du Renouveau, s’il y en a un, réside sans aucun doute dans les espoirs démesurés qu’il a suscités dans toutes les couches de la population. Et comme on le sait, plus les attentes sont grandes, plus grand est le risque de décevoir. Ni la viabilité du projet du Renouveau, ni la sincérité des hommes qui le portent, ne sont à mettre en doute. Mais tant d’impondérables peuvent se dresser sur le chemin de la réalisation d’un rêve ! Dans le cas du Cameroun, c’est d’abord l’administration souvent procédurière et cimetière de projets, qui rallonge les délais d’exécution des travaux et fait exploser les coûts de réalisation. Combien de beaux projets de développement enlisés dans les sables mouvants de l’administration ?
Ce sont aussi les épreuves et les crises, enfantement douloureux du multipartisme, crises économiques, crise sanitaire, crise sécuritaire. Les points les plus critiques et les plus contrariants pour le projet du Renouveau étant la dissidence violente des années 90, le terrorisme et la sécession armée, la crise économique. On peut aussi évoquer la posture problématique de certains hommes du Renouveau appelés à des postes de responsabilité et dont le comportement s’est révélé pour le moins inapproprié, voire désastreux, en tout cas aux antipodes de l’esprit de probité et de solidarité prôné par le père du Renouveau, comportement qui a fait tache d’huile. Au point de contraindre la Justice à enclencher une opération spéciale de lutte contre la corruption qui a vu l’embastillement de quelques caciques.
Quid de l’avenir ?
En dépit des difficultés, nombreuses, de parcours, le Renouveau garde les moyens d’affronter le grand large. Certes l’avenir est largement dominé par l’incertitude et le spectre de graves menaces à la sécurité mondiale, suite à la compétition implacable entre le camp occidental et celui des nouveaux prétendants au leadership planétaire. Mais le Renouveau peut encore écrire de belles ...

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