« Cette retenue s’explique par des raisons historiques et politiques »

Pr. Armand Leka Essomba, sociologue, maître de conférences au département de sociologie à l’Université de Yaoundé I, directeur exécutif du Laboratoire camerounais d’études et de recherches sur les sociétés contemporaines.

De manière générale, comment analyseriez-vous le comportement des Camerounais durant le processus électoral cette année ?

L’on a pu noter une certaine effervescence ainsi qu’une forme spécifique d’excitation et d’enthousiasme civiques. Ceci n’était point acquis. L’on peut admettre que le Cameroun, à travers ses élites et sa classe politique, s’est à nouveau singularisé par une forme salutaire de distinction politique. Le malaise politico-sécuritaire persistant dans les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest laissait présager un comportement marqué d’indifférence et de morosité, pouvant conduire à des spasmes insurrectionnels. Or, en dépit de quelques emportements et autres déviances observés çà et là, le circuit institutionnel du règlement de la palabre électorale a eu raison des circuits insurrectionnels que l’on regrette ailleurs. Cet enthousiasme civique et cette effervescence publique n’avaient plus été observés depuis à peu près deux décennies.

Les gens sont restés insensibles aux appels à la violence émis par certains hommes politiques après l’élection présidentielle. Qu’est-ce qui, d’après vous explique cette retenue ?

Cette retenue s’explique probablement par des raisons à la fois historiques et politiques. Les traumatismes des effets de la violence politique dans notre histoire récente sont encore très vifs dans la mémoire sociale chez nous. Et ceci depuis l’époque de l’anticolonialisme militant (la revendication de l’indépendance), jusqu’à l’époque de l’anti-autoritarisme militant des années de revendication démocratique (les années de braise). Pour un grand nombre de nos compatriotes, la violence comme modalité d’expression des désaccords a été expérimentée sans résultat positif et significatif. Beaucoup portent encore dans leurs vies physique et psychique des cicatrices ouvertes des méfaits de la violence politique. Ensuite, l’on a vu émerger des charismes politiques inédits, auxquels, de nombreux jeunes gens s’identifient désormais. Ces nouveaux repères ont rendu possible l’espérance et la croyance en des alternatives de changement non violent. Ceci nous permet de penser que l’on est probablement en train de clôturer un cycle relativement long, de crise civique et de pessimisme politique qui a caractérisé le Cameroun depuis à peu près deux décennies. Le processus de démocratisation et la professionnalisation de la vie politique chez nous viennent sans doute d’effectuer là, un pas en avant, que l’on espère irréversible.

Ces appels à la violence persistent pourtant sur les réseaux sociaux. Le risque estil vraiment écarté ?

L’on peut admettre que c’est la véritable première élection présidentielle vécue au Ca meroun à l’ère des réseaux sociaux. Cela implique une série de déchainements, certains pouvant faire craindre le pire. Mais, cette violence des échanges qui a été perceptible sur les réseaux sociaux a été, vous devez en convenir aussi, en complète dissonance avec une certaine courtoisie, une relative tempérance, ainsi qu’une forme admirable de sagesse dans les espaces classiques d’expression de la lutte politique. Il y a eu comme une forme de séparation qui a été respectée, entre une vie politique numérique, avec ses virtualités, ses excès, ses fantasmes, ses possibles et une vie politique « tellurique » avec son sens des réalités, ses retenues et son sens du souhaitable. Le risque d’un basculement dans la violence pour ma part, ne fait pas en ce moment consensus dans la conscience collective.

La contestation du verdict des urnes assortie des appels à l’insurrection populaire ont souvent déstabilisé des pays en Afrique. Doit-on comprendre que les Camerounais ne veulent pas courir le risque de ruiner la paix et la stabilité ?

La critique politique et médiatique de certaines imperfections dans la conduite du processus, s’est faite, en dépit de quelques excès rhétoriques et autres dérapages verbaux, dans la bienséance républicaine. Vous savez que la paix et la stabilité qui constituaient jusqu’alors les deux mots-clés fondateurs de l’identité politique du Cameroun et de sa distinction sous régionale sont déjà affectées dans leur force d’évidence par deux figures non souhaitables d’une vie politique civile : le terrorisme de la secte Boko Haram dans les frontières septentrionales et la hantise du séparatisme dans les régions anglophones, le tout sur fond de violence armée. Ce qui est désormais constant c’est que les Camerounais savent ce qu’il en coûte de jouer avec la paix et la stabilité. Au regard de leur histoire récente et de ce qu’il est advenu à certains pays voisins, la paix, comme mot-clé de leur devise apparait comme non négociable. C’est pourquoi certaines formes de délinquance sénile sont désormais a...

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