« Il faut redéfinir l’essence du nouveau politique »

Pr. Hubert Mono Ndjana, philosophe.

La pandémie du Covid-19 impose un nouveau fonctionnement, et le monde politique n’en est pas épargné. Comment entrevoyez-vous la politique après le coronavirus ?

Ce qui est sûr c’est que la donne va changer. Parce que la politique est essentiellement communication. D’abord, d’individu à individu. Or, quelque chose manque désormais dans ce contact. C’est le salut. En politique, la poignée de main veut dire beaucoup de choses. On se dit des choses en se serrant la main. On peut l’interpréter diversement.  Ça peut être signe de confiance, ou de ralliement, ou même de défiance. Ce dialogue a été amputé par le Coronavirus. Aujourd’hui, saluer avec le coude et l’avant-bras impose une transformation anthropologique de la société. Les gestes courants ont été supprimés.  Sur un autre plan, il y a la foule. Elle est aujourd’hui inexistante à cause de la « distanciation sociale ». C’est vrai que ce concept est critiquable, car sous le prisme de l’analyse sociologique de Max Weber, Lénine et Engels, cela s’apparente à une société en classes antagonistes. C’est la sociologie de la différenciation des classes. Donc, ce concept ne me paraît pas très heureux dans la bouche de ceux qui l’ont proposé. Mais comme je l’ai dit, l’homme politique aime la communication avec la foule. L’homme politique aime les bains de foule. Il aime la fusion à travers les salutations, même si elles sont mécaniques. Ces manques dans la cohésion politique d’une société sont éliminés. Cette fameuse distanciation spatiale des gens crée un petit moins, une petite perte dans les relations sociales. Même au sein d’un gouvernement ou au parlement, les gens s’imposent une distanciation spatiale, parce qu’ils appartiennent à la même classe sociale.

Parlant justement du fonctionnement des institutions, leur dynamisme et leur efficience peuvent-ils être remis en cause ?

Il peut y avoir disfonctionnement. Car, il faut que les uns et les autres se comprennent pour bien travailler. Or, avec le Coronavirus, il y a plutôt incommunication entre les gens qui travaillent ensemble. Notamment avec le nouveau mode de communication par visioconférence. A titre d’illustration, au cours d’une soutenance de thèse où le candidat était en France, les échanges se passaient par visioconférence, parfois, la retransmission était interrompue, alors que le candidat continue à parler. Et lorsque les images reviennent, le candidat qui ne s’en est pas rendu compte est déjà bien loin dans son exposé. J’ai comparé cela à une page qu’on lit et qui a été détruite par les échancrures. Avec ces accidents techniques, ce n’est pas l’idéal dans le fonctionnement de nos institutions. Certes, c’est à l’honneur de notre technologie du 3e millénaire. Mais comme elle n’est pas encore au point, c’est plutôt l’incommunication. Alors que c’est la communication qui est la denrée la plus précieuse en politique. Le coronavirus a peut-être apporté la manifestation de l’intelligence humaine, mais on y perd plus qu’on y gagne.

Et cela se ressent par exemple dans le processus d’inscriptions sur les listes électorales. Avec ces restrictions, il n’est plus possible de faire foule. Pourtant, la politique c’est la foule. Depuis qu’elle est née, elle se définit essentiellement par la foule. Il y a un leader et des adhérents. Il y a un prince comme chez Machiavel, et le peuple. Ce petit virus nous a amené à transformer l’essence même du politique, dont l’acteur premier était l’homme communicant. Aujourd’hui, on parlerait de l’homme distant et silencieux. &nbs...

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