Lékié : la fièvre du cacao

La saison bat son plein depuis quelques semaines dans les bassins de production, animée par des acteurs de tous ordres. Ambiance.

« Ça fait plusieurs jours que je ne t’ai pas vu », fait Albertine Ngah Nkogo, la quarantaine entamée, à Messina, sa plus proche voisine, l’air de s’inquiéter. « Ah, tu ignores quoi ?! La sorcellerie chauffe en ce moment. Je suis de la partie comme toujours», répond Messina. Ces étranges propos, au lieu de choquer l’interlocutrice de Messina, semblent plutôt attiser sa curiosité, au point qu’elle arrête de désherber sa cour. Bientôt, d’autres personnes dans le voisinage se mêlent à la conversation et invitent Messina à les informer de son prochain départ pour la sorcellerie. Elles aussi aimeraient bien prendre part à l’activité. Nous sommes dans le village Nkol Medjos, dans l’arrondissement de Monatélé, département de la Lékié. Depuis septembre, les populations de cette bourgade, comme un peu partout dans la Lékié, parlent beaucoup de sorcellerie. Pas de quoi inquiéter cependant. Il s’agit de fait des trafics de cacao auxquels se livrent les uns et les autres, pendant la saison cacaoyère. Dame Messina, 45 ans, s’y investit chaque année et excelle déjà dans le domaine.
Nous sommes dans l’un des grands bassins de production de cacao du pays. Ici, la récolte a démarré il y a deux mois pour les plantations les plus précoces. Du coup, une agitation inhabituelle anime la plupart des villages. C’est l’effet de ce qu’on appelle ici : « produit ». On achète et on vend du cacao sous toutes ses formes et de toutes qualités. Chacun y va de ses petites combines ou de ses grandes affaires. Petits acheteurs individuels, négociants pour multinationales ou industriels, coxeurs… En ce moment, on voit un peu de tout dans les campagnes où les arômes des fèves mises au séchage embaument l’air, entraînant dans leur sillage l’odeur d’argent. A pied, à motos, à bord de berlines « clandos », camionnettes et même de camions, quand les pistes le permettent par ces temps de pluies, les acheteurs écument les villages, se livrant une concurrence féroce. Dans cette mouvance euphorique, les producteurs se battent comme ils peuvent pour ne pas se laisser duper. C’est également le moment idoine pour rappliquer de la ville, pour ceux ayant misé leur argent dans ces affaires : question de veiller sur leurs intérêts. 
« Mon activité est très particulière », explique Dame Messina, l’étrange « sorcière » au cœur d’un vaste réseau d’achat de cacao au village Nkol Medjos. « Ne disposant pas d’une plantation propre, je loue des cacaoyères chez des personnes vieilles, démunies ou isolées, incapables de les entretenir. Toute l’année, mes ouvriers et moi en prenons soin : défrichage, émondage, pulvérisation des produits phytosanitaires contre les insectes et autres maladies du cacao, jusqu’à la récolte. Une fois le produit vendu, je procède au partage du revenu selon une convention préétablie. Mon activité est financée par des membres de la famille fonctionnaires ou cadres dans le privé en ville. Au moment du partage, je dois prendre en compte tous ces paramètres et satisfaire chacun », indique-t-elle. 
Et en matière de sorcellerie du cacao dans la Lékié, il n’y a pas que la location des plantations. Les ventes express de cabosses sur les arbres ou des fèves fraîches à peine récoltées sont également florès. D’aucuns s’y livrent à leur corps défendant, frappés par un deuil, un cas de maladie ou tenus par la scolarité des enfants, l’endettement ou tout autre impr...

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