« Trois recettes pour rester crédibles »

Pr. Laurent-Charles Boyomo Assala, politiste et sociologue, directeur de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication.

L’année 2020 et la crise sanitaire du coronavirus ont certainement eu un impact sur la santé de la presse camerounaise. Quel état des lieux pouvez-vous dresser à ce sujet ?
L’effet conjugué de l’enfermement et de la peur a accru l’intérêt aux médias de nombreux publics, souvent obligés de rester à la maison du fait du confinement et n’ayant pour compagnon que les médias pour connaître le monde du dehors. D’une part, un grand nombre d’infox ont impacté le niveau de peur des populations les plus fragiles, avec en toile de fond le spectre de la mort. Nous savons que la mort particulièrement chez l’Africain est un récit à partir duquel il est possible de repérer des procédures d’étiquetage public. D’autre part, de ce point de vue, le récit médiatique a offert un grand nombre de figures du mort par processus successifs et de guérisons souvent considérées comme étranges, improbables. Il faut toutefois distinguer dans ces récits trois figures : Le récit des réseaux sociaux, dont la prospérité a été fortement alimentée par des témoignages associant le miracle à la divinité. La fabrique d’une histoire nationale du coronavirus n’a cependant pas été très aidée par les réseaux sociaux, ceux-ci associant leurs récits multiples et la vision prophétique de l’Apocalypse symbolisée par le virus,  pour bousculer la reproduction des règles de la tragédie classique : le nombre de morts associés à un renouvellement des référentiels  de l’asexualité, c’est-à-dire une indifférenciation de sexe des morts dans les médias sociaux ; les médias classiques d’initiative privée ont suivi le mouvement en associant  les dynamiques tératologiques (la peur) à la menace  thanatologique (la mort) dans leurs figures médiatiques. Ils ont ainsi constitué l’espace de requalification dans lequel les procédures gouvernementales de dédramatisation du récit de mort par l’enregistrement, la surveillance et de contrôle s’opposaient aux discours hétéroclites où les dénonciations de détournement des fonds Covid-19 prenaient des allures de vaste opération de corruption à ciel ouvert. La peur que ces opérations annulent les efforts de prise en charge sanitaire de la pandémie et accroissent le nombre de morts dont la comptabilité thanatologique ne semblait pas du tout arrêter la redoutable progression, a beaucoup alimenté l’information médiatique. Les médias publics, plus soucieux d’informer à partir des catégories convenues peinaient cependant à gagner en crédibilité. A un moment donné, il a fallu à la CRTV comme à Cameroon Tribune de passer par les points de presse tantôt du ministre de la Communication et tantôt conjointement ou seul du ministre de la Santé publique. Une sorte de normalisation qui mobilisait des informations sur la prise en charge gouvernementale et les initiatives privées enfin reconnues officiellement mais dont la re-légitimation n’a pas été facile du fait d’une démarche un peu chaotique. De manière générale, le diagnostic fait partout dans le monde pointe le retard à la réaction des médias. En Italie par exemple, et pour le sociologue italien Edoardo Novelli, de l'université Roma 3 dans son étude « Infomood » sur les publications de 257 médias européens sur Facebook, réalisée du 1er janvier au 14 mars, les journaux se sont fait largement influencer par leur gouvernement national, qui en Allemagne, en  France ou au Royaume-Uni, ont sous-estimé la crise à venir.
Comment rester professionnel et crédible dans ce contexte où règnent précarité, manipulation et fake news ?
Les recettes sont partout les mêmes. On peut en faire la recension à partir des critiques qui ont été faites aux médias. Elles sont de trois ordres : le cadrage temporel, la véridicité de l’information de crise et le cadrage rédactionnel. Le premier porte sur l’effet de temps sur la riposte médiatique. Les récits de crise sanitaire ont toujours les mêmes racines ainsi que nous le relate Camus dans la Peste : ce sont des situations de peur, d’incompréhension et de restriction des libertés individuelles vécues collectivement. Dans son Journal de l’année de la peste de 1722 Daniel Defoe écrivant la grande épidémie qui frappa l’Angleterre en 1665,  explique qu’en dépit de l’horreur et de la détresse face à la mort, la situation « supprimait toute compassion », que « c’était une époque où chacun était si préoccupé de sa propre sécurité que la pitié pour la détresse d’autrui ne trouvait aucune place. » À mesure que les cadavres s’amoncelaient, la perte ne se mesurait pas uniquement en nombre de morts, mais se traduisait également par la déshumanisation des vivants. Effet à double détente, le temps a donc un impact direct sur le récit de crise tout d’abord, et sur l’effet que ce récit a à son tour sur l’opinion. Il s’agit ici de renouveler le récit en évitant d’exposer les mêmes images et les mêmes figures. L’accumulation des chiffres des morts ou des guérisons est par conséquent à éviter ; La véridicité de l’information sanitaire est le deuxième volet de ces critiques. Il existe aujourd’hui au niveau mondial toute une expertise sur la gouvernance de l’information de crise, constituée par une littérature et une forme de professionnalisation de cette activité. Elle se constitue principalement autour d’une veille stratégique dont la compétence s’ex...

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