« La musique perd l’un de ses géants »

Manu,

 

Il y a exactement un an, je te perdais toi, mon grand frère, l’un des premiers à être emportés par la Covid-19. Il faudra de longues semaines, avant que nous ne puissions, Denise Epoté et moi, nous recueillir près de toi, au cimetière du Père-Lachaise à Paris, en compagnie de quelques-uns de tes proches. J’avais encore passé une matinée entière en tête à tête avec toi, en décembre 2019, en pleine grève des transports, au Canon de la Nation, ton repère, où tu buvais ton café avec des sucrettes. Il faisait froid, tu portais un pardessus imperméable et une casquette sur ton crâne rasé, célèbre dans le monde entier. Mais si pour nous, ta disparition était personnelle, la musique elle, a perdu l’un de ses géants du XXème siècle et du début du XXIème, qui donnait encore, le 17 octobre 2019, au Grand Rex, accompagné par l’Orchestre Lamoureux, ton Safari Symphonique, où la musique africaine, le jazz et la musique classique se mélangeaient. « Je suis incapable de mettre une étiquette sur cette musique, me disais-tu ensuite dans ta loge. Elle n’est ni africaine, ni occidentale, c’est de la musique, la mienne. Je ne cherche à rien démontrer. Le malheur c’est que les gens veulent généraliser. Tu dois être noir ou blanc. Tu ne peux pas simplement être. »

Tonton Manu, tu étais le doyen, le patriarche, le pionnier, de la musique africaine dans le monde, avec ton look imparable : boubou, lunettes noires, haute taille, sax porté comme une trompe inversée. La première star africaine en Europe, puis en Amérique, où tu triomphes dans la salle légendaire de l’Apollo à Harlem, au Madison Square Garden et au Yankee Stadium avec les Fania All-Stars, inspirant plusieurs générations de vedettes afro-américaines. « Soul Makossa y est un immense tube et un phénomène culturel en 1972, avant d’être pillé par Michael Jackson sur Thriller, l’album le plus vendu de tous les temps (« Wanna Be Startin’ Something »), puis par Rihanna (« Don’t Stop The Music »), samplé par Jennifer Lopez (« Feelin’ So Good ») et Jay-Z (« Face Off »), cité par les Fugees (« Cowboys » et « Freestyle »), Kanye West (« Lost in the World »), Will Smith (« Getting Jiggy With It »), Eminem (« Do Ray Me »), jusqu’à Beyoncé dans son récent Homecoming Live.

Tu étais né français, mais tu avais ensuite pris et conservé ton passeport camerounais, parce que Douala restait « ta racine fondamentale ». Rares sont les musiciens à avoir franchi et tenté d’abolir autant les frontières que « Papa Groove ». Cameroun et France, bien sûr, mais ta carrière t’aura aussi mené à résider à Bruxelles, Kinshasa, New York, Abidjan, à te produire partout sur la planète, Londres, Dakar, Brazzaville, Rio, Afrique du Sud, Nouvelle-Calédonie d’où tu rentrais de tournée lorsque tu as dû être hospitalisé début 2020.

C’est cet esprit universel, ce rêve de panafricanisme aussi, qui m’avait conduit à te proposer, le 14 juillet 1992, aux Francofolies, d’enregistrer Wakafrika, album entérinant ton statut d’aîné, reprenant des classiques du continent (« Lady » de Fela, « Pata Pata » de Miriam Makeba, « Jingo » de Babaté Olatunji, « Hi-Life » de Wally Badarou, « Emma » des Touré Kounda, le chant zoulou « Wimoweh ») ou ceux que tu as inspirés (« Homeless » de Paul Simon, « Biko » de Peter Gabriel), en compagnie de tes héritiers  (Angélique, Youssou, Salif Keita, Ray Lema, Ladysmith Black Mambazo, King Sunny Adé, Geoffrey Oryema, Papa Wemba, Ray Phiri, Tony Allen, Bonga, etc.) et de tes admirateurs venus du rock (Peter Gabriel, Sinéad O’Connor). Tu as tourné trois mois a...

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