Pr. Désiré Avom: « Je me réjouis de la perspective des programmes d’ajustement par pays»

L’analyse du professeur titulaire, agrégé de sciences économiques, doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université de Dschang sur la crise économique et sécuritaire en Afrique centrale

La situation économique et monétaire de la CEMAC était au centre du Sommet extraordinaire des chefs d’Etat de l’Afrique centrale le 23 décembre dernier à Yaoundé. La chute des cours du pétrole et l’insécurité ont fragilisé les économies de cette sous-région, qui jusque-là affichait de bonnes performances. Au terme de leur conclave à Yaoundé, les chefs d’Etat ont adopté des résolutions visant à redresser l’économie sous-régionale. Pas de dévaluation du franc CFA, mais des programmes d’ajustement par pays. Dans l’entretien qui suit, le Pr. Désiré Avom, doyen de la faculté de sciences économiques et de gestion de l’université de Dschang, revient sur les résolutions de Yaoundé et suggère des pistes pour relever les économies la CEMAC.
 

Professeur, quelles leçons tirez-vous du Sommet extraordinaire des chefs d'Etat d'Afrique centrale sur la situation économique et monétaire de la Cemac qui vient de s'achever à Yaoundé ?
Deux leçons peuvent être tirées du Sommet extraordinaire des chefs d’Etat de l’Afrique centrale sur la situation économique et monétaire de la CEMAC. La première leçon est que la conjoncture économique est défavorable en raison de la baisse des prix des matières premières notamment le pétrole, qui affecte de manière inégale les différents pays. Ainsi, les perspectives mises à jour pour la CEMAC font ressortir un ralentissement des activités plus accentué qu’attendu initialement, avec un taux de croissance  qui reviendrait à +0,7 % (- 6,5 % pour le secteur pétrolier et +3,4 % pour le secteur non pétrolier). Par pays, la croissance demeure soutenue au Cameroun, malgré la révision à la baisse d’un point à 5 % au lieu de 6 % antérieurement anticipé. Elle se renforcerait légèrement en République Centrafricaine à +5,5 % au lieu de +5,4 % initialement projeté. Le Gabon progresse légèrement à 3,3 % contre 3,2 % précédemment prévu. La République du Congo perd un point de croissance et se situe à 1,8%. Dans le même temps, elle est négative au Tchad avec -3,7 % et en Guinée-équatoriale -10,2 %. La deuxième leçon est relative à la détermination affichée par les Chefs d’Etat de mettre en place des mesures idoines pour amortir le choc et limiter ses effets négatifs sur les populations les plus vulnérables.
Est-ce que, comme certains observateurs, vous vous attendiez à l'annonce d'une dévaluation du franc CFA qui n'a finalement pas été actée par les chefs d'Etat ?
Non, je ne m’attendais pas à l’annonce d’une dévaluation, parce que son effet global sur le commerce extérieur est très incertain, notamment pour les économies comme celles de la CEMAC. Pourquoi dévaluer une monnaie ? En théorie économique, un pays recourt à une dévaluation pour rétablir l'équilibre de son commerce extérieur. La modification à la baisse (dévaluation dans le cas d’un régime de change fixe comme le nôtre, et dépréciation dans le cas d’un régime de change flexible) du taux de change entraîne un double effet prix et volume. A court terme, l’effet prix se traduit principalement par une augmentation des prix des biens importés sur le marché national et simultanément une diminution des prix des produits nationaux sur les marchés des pays concurrents. A moyen terme, la dévaluation agit sur les volumes ou les quantités. En effet, le renchérissement du prix des produits importés provoque une baisse des importations, tandis que les exportateurs tentent de mettre à profit la baisse relative de leurs prix pour reconquérir les parts de marché perdues. Ces deux effets prix et volume, définissent ce qu’on appelle dans la littérature, la courbe en J qui traduit la détérioration de la balance commerciale qui intervient immédiatement après la dévaluation (effet prix), suivie d’une amélioration (effet volume).
Les chefs d'Etat n'envisagent pas de dévaluer leur monnaie. Par contre, ils entendent travailler avec le FMI sur des programmes d'ajustement par pays. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle, au regard de la situation actuelle et du passé encore récent des programmes d'ajustement structurel ?
Les économies sous régionales ayant enregistré une dégradation de leur cadre macroéconomique consécutive à l’apparition de plusieurs chocs (baisse des prix du pétrole, insécurité), il me paraît tout à fait normal que des solutions soient envisagées pour y remédier. L’évocation d’un plan d’ajustement structurel fait naturellement peur aux populations, en souvenir à la longue et douloureuse expérience des années 1980. Mais, convient-il de souligner que le contexte a considérablement évolué ? Les pays ont acquis une expérience certaine dans la négociation.  Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) sont plus ouverts qu’ils ne l’étaient à l’application des politiques alternatives à leurs préconisations, dès lors qu’elles conduisent au redressement économique souhaité. Je me réjouis de la perspective des programmes d’ajustement par pays, contrairement à ceux des années 80 qui étaient uniformes pour tous les pays, pour au moins deux raisons.
Premièrement, l’expérience des négociations régionales dans le cadre des Accords de partenariats économiques (APE) n’a pas été concluante. Chaque pays de la sous région ayant mis en avant ses spécificités, qui ont retardé l’aboutissement de l’accord et  accusant à tort le Cameroun de faire cavalier seul. L’Union européenne considère désormais l’accord avec le Cameroun comme cadre de référence à partir duquel les négociations avec les autres pays de la sous-région doivent commencer. Deuxièmement, et plus fondamentalement, les performances macroéconomiques sont différentes d’un pays à l’autre comme relevé plus haut, du fait du caractère asymétrique du choc qui affecte les pays de la CEMAC. En effet, un choc est dit asymétrique lorsqu’il touche un certain nombre de pays et pas d’autres, ou alors, il touche tous des pays dans les proportions différentes. C’est justement le cas de la baisse des prix du pétrole qui touche cinq pays sur six et dans des proportions différentes. Il aurait été injuste de soumettre les pays comme le Cameroun, le Gabon et dans une moindre mesure la RCA, qui affichent des performances honorables dans le contexte actuel aux mêmes préconisations. La négociation par pays permet de prendre en considération les spécificités de chaque pays et d’en supporter individuellement le coût.  
De l'observation que l'économiste que vous êtes faites de la situation économique actuelle des Etats de la Cemac, quels leviers faut-il actionner pour redresser ces économies ?
Il faut distinguer les actions à mener dans le court terme et celles à conduire dans les moyen et long termes. A court terme notamment, pour les pays comme la Guinée équatoriale et le Tchad, le retour à une croissance économique positive est conditionné à un retournement de la conjoncture internationale par une augmentation des prix du baril du pétrole, comme le laisse entrevoir l’évolution du marché pétrolier avec les initiatives prises par les pays membres de l’OPEP. Pour les autres pays, les actions ciblées devraient être envisagées par exemple, un lissage des dépenses de consommation en les limitant à celles considérées comme incompressibles et surtout stratégiques. A moyen et long terme, le renforcement des investissements dans les infrastructures notamment l’eau, l’énergie, les routes, etc, l’amélioration du climat des affaires pour accroitre les capacités du secteur privé à créer de la valeur ajoutée et attirer les Investissements directs étrangers (IDE) sont des actions à privilégier. Il fa...

Reactions

Commentaires

    List is empty.

Laissez un Commentaire

De la meme catégorie