Musique : Blick Bassy, les arts en mouvement


L’artiste camerounais résidant en France, en séjour au pays entre avril et mai 2021, est venu présenter son quatrième «1958», sorti en 2019. Occasion pour le chanteur, instrumentiste, écrivain, cinéaste, d’évoquer le destin du pays avec le public à travers deux spectacles à Douala et Yaoundé. Il avait hâte de venir jouer cet album axé sur l’histoire de son pays et les héros nationalistes du Cameroun devant les principaux destinataires de son message. Une démarche nécessaire quand on parle de développement des pays africains : « Je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui une seule nation qui soit stable et qui soit déconnectée de ses racines. Le Japon, la Chine, sont très modernes, mais ancrés dans leurs traditions. Nous sommes l’un des rares continents encore où les gens ne savent pas réellement qui ils sont. » Blick Bassy, lui continue de chercher qui il est. Mais déjà, c’est aussi un homme de lettres qui a notamment participé à la semaine de l’écrivain africain organisée par l’Institut français du Cameroun, en plus des concerts de l’artiste, sans oublier les Master Class données notamment à l’Institut Goethe à Yaoundé. Blick Bassy, il a toujours eu beaucoup à dire, depuis Macase… 

Pourquoi avoir convoqué précisément Um Nyobè dans l’album 1958 ?
Cet album part tout simplement d’une crise existentielle doublée d’une crise identitaire. On se pose la question de savoir pourquoi les choses ne vont pas trop dans nos pays africains sans toutefois avoir des réponses. Pour moi, l’une des réponses provient de ce qui s’est passé dans ces pays qui ne sont pas réellement les nôtres parce que nous n’avons pas pensé les modèles économique, politique, éducatif, culturel. On nous a imposé une structure que nous avons appliquée et avec laquelle nous nous battons à construire comme on peut ce que nous appelons nos pays.  Cela m’a renvoyé donc aux origines et en fouillant un peu, en partant des conséquences pour remonter aux origines, ça m’a permis de tomber sur ces gens-là qui se battaient tout simplement pour que les choses auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui ne se réalisent pas, qui ont quelque part pressenti ce qui devait arriver si on ne faisait pas un travail de reconnexion avec nos racines, notre histoire, ce qu’on est. Et quand je parle d’Um Nyobè, je parle de Ouandié, de Moumié, etc. parce qu’ils ont tous porté ce combat. Et Um Nyobè me parle beaucoup plus spécialement peut-être parce que mon village est voisin au sien et que lorsque j’étais à l’école, on parlait de lui comme d’un terroriste et quand j’allais dans mon village, tout le monde le célébrait. Mon grand-père se revendiquait d’Um Nyobè. C’était antinomique. 
Quel a été le processus de création de cet album ?
Quand je sors cet album, je me dis que je vais essayer un peu de parler de cette histoire importante dans le destin de notre pays. Avant de le faire, je suis allé au village, j’ai parlé à mon grand-père, j’ai interviewé quelques personnes qui chuchotaient encore, qui avaient peur qu’on vienne les chercher. Il y a un ami de mon père que j’avais interviewé, qui était dans la police pendant cette période, qui chassait ceux qu’on appelait les « maquisards » et qui aujourd’hui a un peu honte de parler, parce qu’il se dit qu’il était dans un camp qui était censé être le bon et qui ne l’était pas. Il avait peur aussi parce que traumatisé. À l’époque, on faisait disparaître beaucoup de personnes qui étaient en contact et qui était censés savoir où se trouvaient les « maquisards ». Et il  était essentiel pour moi de ramener cette histoire sur la table. A côté de cela, j’ai beaucoup lu. Je voulais vraiment partir du storytelling, de l’histoire des uns et des autres, de ce que les gens avaient vécu. Achille Mbembe, Hemley Boum, Max Lobè ont écrit autour de cette histoire. Donc j’ai lu un grand nombre de témoignages qui m’ont permis de me nourrir un peu des histoires autour de ces questions, la mienne et celles des autres. 
Quels sont les premiers retours que vous avez eus de cet album ?
J’ai eu de très bons retours. C’est vraiment l’un de mes albums qui m’ont rapporté énormément de retours des Camerounais. Je crois que c’est une histoire qui touche au moins un Camerounais sur deux. J’ai eu énormément de témoignages : « Mon grand-père avait disparu, il n’est jamais revenu ». « On est venu prendre mon oncle un soir, il n’est jamais revenu »... j’ai eu énormément de messages et j’étais vraiment surpris moi-même, parce que c’est une histoire qui était liée aussi à mes parents. Ma mère, pendant deux ans, avait vécu dans la forêt. Dormant d’un lieu à un autre avec mon grand-père, parce qu’on torturait et terrorisait ceux qui étaient censés savoir où se cachaient les « maquisards ». Et comme ma mère, il y a énormément de gens qui de manière directe ont vécu cette histoire. 
Cet attachement au passé se concrétise aussi par votre projet « Elders Music Box ». Pouvez-vous nous en parler en détail ?
Le projet, en français « la boîte à musique des aînés », est un projet que je suis en train de mettre en place. L’idée est d’accompagner nos anciens musiciens qui pour la plupart finissent dans des conditions déplorables, parce que nous n’avons pas de système mis en place aujourd’hui pour encadrer ces artistes. Et l’idée de la « Elders Music Box », c’est tout simplement de faire fabriquer une boîte à musique dans laquelle je mets une chanson, un ancien succès. Et je travaille avec un jeune peintre émergent africain. Je fais donc cette collaboration pour réaliser 400 boîtes à musique et il y a quatre artistes qui vont certifier les modèles uniques de cette boite à musique. Ces boîtes sont vendues dans le réseau des musées comme des objets d’art et les bénéfices permettront d’accompagner nos anciens dans toute l’Afrique. Sur celle-ci, j’ai commencé par la chanson de Grand Kalle, « Indépendance Cha-cha » et il y a un QR code qui envoie sur la version originale du morceau. A chaque fois, j’irai chercher de vieilles chansons très populaires africaines pour faire différentes éditions. Demain, ce sera peut-être une &e...

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