
Il était venu de nulle part pour révolutionner le bikutsi à l’orée des années 90. Nkodo Si Tony a vécu, laissé sa belle empreinte, avant de tirer discrètement sa révérence mardi, à 62 ans. Itinéraire d’un surdoué.
Mais d’où sortait-il donc, cet anonyme, pour bousculer ainsi toute la hiérarchie établie et prendre sa place au sommet ? Lorsque Nkodo Si Tony enflamme le Cameroun tout entier en cette année 1988, ses états de services n’affichent rien de bien exceptionnel. Ce jeune homme est apparemment sorti des quartiers mal famés de Douala, avec son look ringard : tignasse à peine peignée, ensemble jeans et chemisette de gamme moyenne, comme pris à la hâte à la friperie pour passer à la télévision.
Bref, celui que l’on découvre alors grâce à la magie des premiers pas de la culture à la télévision camerounaise n’a rien d’une star. Il a même plutôt le profil de ce que le langage populaire appelle un « villageois ». Mais il se trouve que depuis des mois, ses chansons sont incontournables. Dans les radios, les animateurs sont sous le charme. Et parmi eux, le très célèbre Saint-Lazare Amougou, le plus influent de tous. Même succès dans les cabarets, les bars et les boîtes de nuit.
Qui est donc ce Nkodo Si Tony ? Sorti de nulle part ? Pas vraiment. L’album « 90° de bikutsi à l’ombre » qui fait fureur en cette fin des années 80 n’est pas le premier. Quelque temps plus tôt, un album intitulé « Papa Comavic », produit sous la férule de l’arrangeur Manuel Guiso n’a pas réussi à sortir Nkodo Si Tony alias « Tony Frac » de l’anonymat. N’empêche, il commence à dessiner les contours de sa marque de fabrique.
C’est une musique éclectique, fruit de ses nombreuses influences. Il y a notamment beaucoup de makossa, car ce fils d’employé de l’ex Office national de commercialisation des Produits de base (ONCPB), est né et a grandi à Douala. Il n’échappe donc pas à la déferlante de l’époque. Sa voix aussi commence à se poser, veloutée, mélancolique et captivante à souhait. Le tournant, ce sera la rencontre avec Albert Breuks, un génial musicien arrangeur, féru des nouvelles technologies. Un tandem naît. Ils sont jeunes, débordants d’imagination et animés par le même souci de rompre avec l’ordre établi. Le premier fruit : « 90° de bikutsi à l’ombre ».
Après avoir trimé presque deux ans pour produire et promouvoir son album, la mayonnaise finit par prendre, bien aidée il est vrai par la piraterie. Et en quelques semaines, le nouveau venu met tout le pays d’accord. Dans un environnement où la saine émulation entre makossa et bikutsi domine les débats, le tapis rouge est déroulé à « Si Tony ». Après Toto Guillaume, et le très populaire Ndedi Eyango, nous voici dans l’ère Nkodo Si Tony. « 90° de bikutsi à l’ombre » et ses tubes « Mba Mvoe », « Metil Wa », « Wa yi ma Woé Ya » sont sur toutes les lèvres, repris instinctivement comme de véritables « hymnes nationaux ».
Et sans surprise, c’est le disque de l’année. Incontestable. Incontesté. Un certain Hoïgen Ekwalla est au sommet de son art, avec son makossa sentimental et ses titres cultes « Ndome » et « Chat botté ». Mais le bourrasque Nkodo Si Tony fait ombrage à tous les autres artistes de l’année et rafle tout.
Synthétiseurs
Le secret d’une telle fulgurance ? Assurément ce sens poussé de l’innovation. Le bikutsi qu’introduisent le jeune artiste et son équipe en studio est une franche et audacieuse rupture. Le grand maître Messi Martin et son compère Patrice Emery Akono avaient déjà révolutionné le rythme en lui apportant une touche de modernité essentielle : ce son de balafon reproduit avec maestria par la guitare solo, qui sera plus tard « institutionnalisé » par la bande à Jean-Marie Ahanda (Zanzibar et les Têtes brûlées).
Mais voilà que ce novice de Nkodo Si Tony « ose » remettre ça en question. Cette outrecuidance s’avère payante. Elle est porteuse d’une nouvelle révolution dans le bikutsi. Exit la guitare solo prépondérante. Le synthétiseur de Breuk’s fera l’affaire, appuyé par les claviers du brillant Joseph Bewuni (Biba bi Nfana). Ça donne un son inédit, d’une pureté et d’une puissance étonnantes. Et la finesse de la guitare rythmique de Nkodo Si Tony, héritée du makossa, est la cerise sur le gâteau. Le cocktail est explosif. Le succès au rendez-vous. D’autant plus que Nkodo Si Tony est une vraie bête de scène. Son pas de danse saccadé, associé à son sens aigu de l’animation, fait d’onomatopées et de cris de ralliement comme le fameux « Au village ! », cultivent un énorme capital sympathie. La musique, entraînante à souhait, remplit systématiquement les pistes de danse. Et voilà le « villageois » affectueux qui devient superstar, en un tour de main.
La recette produit deux autres albums de haute facture. « 100° de bikutsi à l’ombre » et son tube « Dolo Eibè » rapportent à Nkodo Si Tony un deuxième disque de l’année successif en 1989. Puis « Face à face » lui ouvre les portes du succès international l’année suivante. On y retrouve entre autres, le chef d’œuvre « Essingan y’Africa ». Le phénomène camerounais fait irruption dans les hits parades parisiens, dont le mythique Canal Tropical, véritable carrefour des musiques afro-caribéennes sur Radio France Internationale. Tous les ingrédients sont alors réunis pour bâtir la légende de Nkodo Si Tony.
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