Interview: « Ces actes réduisent les possibilités de développement »

René Yatcho Nyaben, économiste.

L’économie camerounaise a récemment tourné au ralenti du fait des actes de vandalisme sur les installations de l’opérateur Camtel. Un énième acte de cette nature sur des installations. Comment vous avez appréciez cette situation ?

A l’heure où la pandémie du Covid-19 favorise le développement des transactions à distance, il est regrettable que des actes inconsidérés de saccage, de vol, de pillage et de dégradation sur des installations d’un opérateur jouissant d’une large présence sur le territoire viennent réduire l’ampleur des échanges dont l’importance dans la consolidation des agrégats économiques n’est plus à démontrer.

Quels que soient les mobiles avancés (vandalisme de nécessité voire de pauvreté, vandalisme inconscient ou idéologique, vandalisme rituel ou de profanation, etc.) de tels actes vident de leur sens l’esprit du contrat social établi entre les partenaires en quête de représentativité et de légitimité d’une part, l’Etat et le reste des agents économiques d’autre part. La situation est préoccupante à plus d’un égard car ce qui est en jeu, c’est l’incapacité de certains membres du corps social à se mettre, de manière solidaire, au service d’une cause commune.

C’est toute l’alchimie de la gestion des biens communs « excludables » qui se jouent dans notre société. Il est donc fort à craindre que la récurrence de ces incivismes n’entraîne une rupture des solidarités actives nécessaires à tout processus d’émergence.

Eneo est également une grande victime de ces actes. Ce qui a souvent comme effets collatéraux les coupures d’eau, l’arrêt de fonctionnement des industries, etc. Quels sont les impacts de ces incidents sur les entreprises et même les consommateurs ?

En effet, de nombreux pylônes de cette grande entreprise sont régulièrement ravagés. Les vandales s’en prennent aux ouvrages en sciant les écrous et en démontant les corbières des diagonales et ceinture. Leur butin est vendu sur le marché pour la fabrication des ustensiles des cuisines.

L’entreprise Eneo indique ainsi que pour la seule année 2021, elle a enregistré une perte de plus de 200 poteaux électriques en raison des actions inconséquentes des agriculteurs qui allument des feux de brousse ou des brigands de tout genre qui ne savent s’approvisionner nulle part que sur les installations électriques. Ces incidents perturbent la distribution de l’énergie. Le système fonctionnant en réseau, il s’ensuit des effets pervers à tous les niveaux avec des renchérissements des coûts ou des pertes en raison des retards de livraisons ou de la détérioration des produits surtout dans l’agro-alimentaire. Les pertes qui approchent, très souvent les 500 millions de F par mois pour les opérateurs économiques, obèrent les possibilités des petites et moyennes entreprises peu préparées à supporter les contrecoups des externalités liées aux délestages ou aux coupures.

Même pour les grandes entreprises, la situation peut s’avérer dévastatrice si les instances internes ne trouvent pas de parades appropriées pour minimiser les risques associés aux bouleversements sus-relevés. Cela étant, il faut relever que l’opérateur Eneo doit supporter des coûts astronomiques pour rétablir et maintenir le réseau en l’état. Or, de tels investissements dont l’amortissement n’est pas déterminé à l’avance grève fortement le budget de l’entreprise et réduit ses possibilités de recrutement et de modernisation du système de production et de transport de l’énergie.

L’économie fonctionnant selon un principe de vase communicant, les difficultés des opérateurs économiques comme Eneo déteignent forcément sur les consommateurs qui doivent, à leur corps défendant parfois, accepter le renchérissement des prix de certains produits dépendant de l’énergie comme l’eau, le pain. 

Quand on sait que le Cameroun investit de gros moyens pour la construction de ces infrastructures, quel peut être l’impact de ces actes sur le développement du pays ?

Le rôle de l’énergie électrique dans le développement économique des nations est un fait avéré. Il n’est donc pas étonnant que le Cameroun dégage des moyens considérables en faveur de la construction des ouvrages énergétiques. Le pays a, en fait, compris que depuis la Révolution industrielle de 1780, l’électricité modifie tous les aspects de l’activité humaine. Sur ce plan, il faut d’ailleurs relever que la croissance économique d’un pays dépend aussi du niveau de consommation de l’énergie électrique.

C’est donc dire que les dotations suffisantes en énergie électrique offrent de meilleures perspectives de lutte contre le chômage en ce sens qu’elles permettent la maturation des investissements dans le domaine de la production. En d’autres termes, l’énergie est source de développement des innovations dans les domaines des nouvelles technologies de l’information et de la communication, de la santé, de l’éducation et de la recherche développement. Vous comprenez donc que les actes de vandalisme obligent l’Etat a toujours recommencer comme Sisyphe, ce personnage de la mythologie grecque condamné par les dieux à rouler sans fin une pierre au sommet d’une montagne. Les moyens de l’Etat n’étant pas illimités, il s&rsqu...

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