Interview : « l’objectif est de développer l’industrie locale »

Jules Doret Ndongo, ministre des Forêts et de la Faune.

La décision d’interdiction de l’exportation des grumes en zone CEMAC prend effet le 1er janvier 2023. Comment se prépare le Cameroun pour l’opérationnalisation de cette mutation ?
Au regard des enjeux et défis de cette mutation, mon département ministériel, en collaboration avec le ministère des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique, a mis en place un comité interministériel pour identifier et proposer au gouvernement des mesures à prendre avant le 31 décembre 2022, à l’effet d’anticiper sur les impacts négatifs potentiels de ladite décision sur la gestion durable des ressources forestières, des entreprises de la filière bois et de l’économie nationale.

Le rapport général des travaux dudit comité, qui propose des mesures d’accompagnement des opérateurs économiques de la filière bois et des activités connexes en termes des mesures fiscales incitatives en vue du renforcement du tissu industriel local par l’acquisition des équipements à haute valeur technologique dans le domaine de la 2e et 3e transformation, ainsi que le renforcement des capacités du personnel et l’accès aux financements,  a été validé par ses membres, puis transmis aux services du Premier ministre pour approbation et mise en œuvre par les ministères compétents.  

D’autres batteries de mesures ont également été prises par le ministère dont j’ai la charge. Il s’agit notamment de la poursuite de l’opérationnalisation du Système informatique de gestion des informations forestières (SIGIF2), l’organisation du marché intérieur du bois , la promotion des essences secondaires peu ou pas connues, la mise en place progressive en collaboration avec l’Agence des normes et de la qualité, des normes de transformation du bois et la vulgarisation de l’arrêté conjoint du 15 décembre 2020 relatif à la commande publique sur l’étendue du territoire national en vue d’encourager l’utilisation du bois d’origine légale et des produits dérivés de bois pour limiter la forte propension à la commande des meubles en bois importés.

Quels sont les enjeux et les défis de cette décision ?
Cette décision d’interdiction de l’exportation du bois sous forme des grumes répond à la nécessité de favoriser le développement d’une industrie sous régionale durable pour la valorisation de la filière bois dans le Bassin du Congo ; étant donné les faibles taux de transformation locale. En effet, l’objet de cette mesure est surtout de développer l’industrie locale pour que nos économies ne dépendent pas seulement du pétrole. Elle va encourager au moins la première transformation industrielle du bois sur place, afin d’augmenter le pourcentage des dérivés de cette ressource sur le marché mondial qui n’est que de 6% des productions mondiales en sciages de bois tropicaux, de 7% en placages de bois tropicaux, de 1% en contreplaqués de bois tropicaux et surtout l’absence de productions des deuxièmes et troisièmes transformations du bois.

De manière concrète, ladite mesure, au niveau de notre pays va permettre : d’intensifier les prélèvements dans les concessions forestières de sept millions de mètres cube par an actuels à quinze millions d’ici 2030 et la première transformation locale du bois de 75% actuel à 100% ; de développer les deuxième et troisième transformations locales de 50% des produits issus de la première transformation du bois ; de passer de 40.000 emplois actuels à au moins 100.000 emplois dans le secteur ; de doubler la contribution du secteur bois au PIB ; de développer le marché intra-africain des bois tropicaux.

Au niveau de la fiscalité, quelles seront les incidences de cette interdiction sur le Cameroun ?
La décision des pays du Bassin du Congo d’arrêter l’exportation des bois sous forme de grumes est conforme à la législation forestière camerounaise. Cette décision qui touche le secteur forestier, troisième contributeur à l’économie nationale en termes de PIB, va certes améliorer le tissu industriel camerounais et l’offre en emplois, mais va également engendrer les premières années, un certain nombre d’impacts négatifs sur certaines taxes forestières relatives aux grumes, notamment les droits de sortie, la taxe d’abattage et la taxe d’inspection. Globalement, les pertes annuelles au départ pourront se chiffrer à environ 13 milliards de F pour les droits de sortie sur les grumes ; 1,8 milliard de F de taxe d’abattage sur les grumes destinées à l’exportation ; 580 millions de taxe d’inspection sur les grumes. Mais, progressivement, vont re-augmenter la taxe d’abattage, et toutes les autres taxes liées à la transformation du bois.

Où en est-on aujourd’hui avec la transformation locale ?
Il est important de rappeler que la politique nationale en matière de transformation locale du bois vise à mettre en valeur les ressources forestières, en vue d’augmenter la contribution du secteur forestier au PIB tout en conservant le potentiel productif. Cette politique forestière prévoit la promotion de l’utilisation et la diversification des produits transformés localement, en vue d’augmenter le rendement matière et de favoriser le développement des exportations des produits semi-finis et finis. Les statistiques disponibles révèlent en ce moment l’existence d’environ 227 unités de transformation du bois opérationnelles sur l’ensemble du territoire national.

Parmi elles, 205 (soit 90 %) se limitent à la 1ère transformation (débités et placages), 19 (soit 9%) à la 2e transformation (bois massifs reconstitués, lambris, parquets) et 3 (soit 1%) à la 3e transformation (panneaux, portes, fenêtres, lamellés collés et tous autres produits finis et prêts à l’emploi). La mise en œuvre de cette décision des pays du Bassin du Congo va fortement contribuer à réduire la disparité entre les différents niveaux de transformation du bois afin d’inverser cette tendance observée. Il faut également souligner que la majorité des scieries ont été installées juste pour se conformer au taux de transformation minimum. Plusieurs d’entre elles ne sont pas à la fine pointe de la technologie. Par ailleurs, les industries nationales des produits de la transformation plus poussée du bois sont dominées par de très petites unités dispersées dans les centres urbains, très peu équipées, offrant des produits de très faible ...

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