« La décentralisation de la régulation est un impératif de fonctionnalité pour les médias »

Pr. Marie Marcelle Mpessa Mouangue, chef de département de presse écrite à l’Ecole supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (Esstic).

Professeur, en 2022, bon nombre d’entreprises de presse ont toujours du mal à joindre les deux bouts. Quelle forme pourrait prendre la réforme du mécanisme d’aide publique promise par le ministre de la Communication lors de la défense de son enveloppe budgétaire au Parlement ?
Il ne faut pas lier les difficultés économiques de ce qui se présente comme entreprises de presse à l’aide publique, parce que cela signifierait de manière consciente de condamner le devenir des médias au sort de la mansuétude administrative et à la générosité des dirigeants. Nos médias sont loin d’être des entreprises et le législateur camerounais l’a bien compris, qui fait une distinction dans la loi 90/052 relative à la liberté de communication sociale entre l’organe d’information et l’entreprise éditrice. Globalement que représentent 350 voire 400 millions de francs distribués gracieusement à 150 médias, agences de communication et autres régies publicitaires, là où de nombreux pays africains ont élaboré des modèles plus efficaces tels que l’aide avec une typologie plus affinée  (aides à la diffusion, aides au pluralisme, aides à la modernisation des équipements) et des montants frisant les deux milliards parfois  (700 millions au Sénégal en 2022, plus d’un milliard en Côte d’Ivoire) ? La contrainte économique qui en découle est donc d’ordre purement institutionnel, ce qui explique que la création et le fonctionnement de l’organe médiatique soit en lien direct avec l’axe étatique. Au nom de la liberté, tout le monde ou presque est en droit de créer et de faire fonctionner un média dont l’encadrement juridique et juridictionnel s’articule autour de mécanismes tels que l’aide de l’Etat, en plus de la tolérance administrative et plus précisément fiscale et de la mansuétude judiciaire. Quant à l’entreprise éditrice, très peu de médias présentent la figure entrepreneuriale, c’est-à-dire qu’elle exercerait des actes de commerce ou d’une industrie éditoriale et en font leur profession habituellement. La structure même de notre économie ne favorise pas l’émergence d’un segment ou d’un secteur ou même d’un tiers secteur industrialo-commercial de l’information. L’avènement du numérique a été de ce point de vue moins une opportunité qu’un coup fatal porté à l’activité médiatique, laquelle n’a pas su tirer profit de l’Internet pour se développer horizontalement par des économies d’échelle à l’exception notable de quelques groupes. Même sur l’axe vertical, à l’intérieur d’une même chaîne de valeurs, peu d’avancées sont observées. Le métier d’éditeur de presse est en réalité le point aveugle de l’économie des médias au Cameroun. On constate très peu d’imagination, très peu d’innovations.

L’année qui s’achève a également été marquée par la persistance de la presse à gages avec la prolifération de discours de haine. Quelles mesures suggérez-vous pour éviter que les médias ne deviennent des vecteurs de déflagration sociale ? 

La presse dite à gages pose un double problème, éthique et déontologique d’une part, économique d’autre part. Sur le plan déontologique, elle a fini par imposer sa figure hideuse dans l’univers de la vie politique surtout, au point de paraître comme intrinsèquement liée à celle-ci. Elle participe donc d’une sorte de régulation négative de la politique et acquiert sa prospérité grâce aux prébendes qu’elle mobilise dans le jeu des adversités. Au plan économique, elle donne existence à un marais de petits médias qui fonctionnent en marge des lois et règlements mais qui occupent une place dans les circuits de consommation par les transactions souterraines qu’elles mobilisent et qui ont été popularisées sous le nom de « gombos ». Comment en sortir ?  Il faudrait mettre en place un train de mesures de toutes natures qu’on pourrait ainsi résumer. A l’entrée du métier, une conditionnalité de type professionnel (être journaliste diplômé d’une école professionnelle reconnue par l’Etat et la corporation, avoir une raison sociale et donc un siège, un capital libéré et une équipe rédactionnelle consistante (la loi actuelle dit au moins trois journalistes professionnels, mais cela se révèle insuffisant voire inopérant), définir son segment de spécialité (sports, économie, politique par exemple : (les orientations éditoriales et l’affichage des contenus restent très questionnables ) et attester d’une connaissance avérée dudit milieu-syndicat, organisation associations). En situation d’exercice : présenter le bilan annuel de l’entreprise et un programme d’investissement ou de réinvestissement à moyen terme avant l’organe de régulation, exciper un contrat avec une société de régie publicitaire, procéder au recyclage régulier des membres de l’équipe rédactionnelle.

Comment rester professionnel et crédible dans un contexte où règnent précarité, manipulation et Fake news ?
Il y a là un problème de système et une situation particulière. Notre système social accorde peu de crédit aux journalistes de manière globale et sur ce point la production d’une élite de journalistes diplômés de grandes écoles a eu peu d’effets qualitatifs sur le segment rédactionnel. En situation de pluralisme politique, les médias présentent peu ou pas du tout d’avantages comparatifs par rapport à la communication publicitaire ou même la politique. Qu’apportent-ils en réalité à la compétition politique sinon une exemplification de la polémique ? De quelle valeur ajoutée se prévalent-il...

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