« Le trafic de minerais explique la persistance des conflits »

Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, directeur du Séminaire de géopolitique africaine à l'Institut catholique de Paris.

Qu’est-ce qui peut expliquer le regain de tension observé ces derniers temps entre RDC et le Rwanda ?
Il est dû à une résurgence des activités de violence par des groupes armés jusqu’ici quasi-endormis, et aussi, à un très lourd passif conflictuel, qui n’arrive toujours pas à être convenablement épuré. Les causes immédiates de ces vives tensions et de l’escalade verbale sont le fait de la reprise des armes par le groupe militant du Mouvement du 23 mars (M23), un groupe rebelle née en 2012. Après des années d’hibernation, celui-ci a mené le 20 novembre 2021 des attaques simultanées sur les positions militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dans les villages de Chanzu et Runyonyi dans le Nord de la province du Kivu, à l'Ouest des frontières ougandaise et rwandaise. Au-delà de la condamnation de ces actes de violence par les autorités congolaises, ce sont davantage les allégations d’une étroite implication du Rwanda auprès du M23 qui jettent une forte suspicion entre ces pays voisins et contribuent à attiser le sentiment de haine au sein des communautés. Le président congolais, Felix Tshisekedi avait d’ailleurs le 18 juin devant son Conseil des ministres déclaré que la RDC faisait face à « une agression de la part du Rwanda, agissant sous couvert du M23 ». Position réaffirmée lors de son discours devant la 77e Assemblée générale des Nations unies à New York, le 20 septembre 2022. Plusieurs rapports du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC ont énoncé à la suite d’inspections sur place et analyses d’images satellitaires, « des preuves solides » témoignant de la participation directe et indirecte des membres des forces rwandaises de défense (FRD, l’armée du Rwanda) à plusieurs attaques dirigées contre des soldats congolais, dans la province du Nord-Kivu, entre novembre 2021 et juillet 2022. Le Rwanda qui s’est inscrit en faux contre toutes ces accusations, a de son côté accusé en octobre 2022 la RDC « d’opérer aux côtés de milices armées irrégulières », et l’armée congolaise d’être l’alliée des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), une rébellion hutu rwandaise réfugiée en RDC depuis le génocide des Tutsi en 1994. 

Ces accusations mutuelles apparaissent comme un obstacle majeur au dialogue…
La récurrence de ces plaintes réciproques ne facilite pas le dénouement des crispations actuelles. L’intensité de ces velléités prend racine dans une longue tradition de conflits et de rivalités dans la région des Grands lacs entre la RDC et le Rwanda, auxquels se mêlent aussi l’Ouganda et le Burundi. Les groupes armés extrémistes et terroristes actifs dans les trois provinces orientales congolaises, d’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu sont en effet frontaliers de ces pays, et constituent l’épicentre de conflits meurtriers depuis près de 30 ans. Les conséquences des deux grandes guerres du Congo, des crises sécuritaires locales, des conflits ethniques et intercommunautaires, animés et instrumentalisés par des acteurs (milices, trafiquants, hommes politiques etc.) présents de part et d’autre des frontières de ces pays, continuent d’avoir une influence sur la dynamique belliqueuse. En outre, la porosité des frontières, ainsi que, la faible présence ou l’inexistence par endroit de l’autorité de l’Etat dans l’Est du Congo donne carte blanche aux groupes armés et à leurs soutiens extérieurs pour élargir leurs zones d’influence, et surtout, pour alimenter une économie criminelle autour du trafic des ressources extractives et naturelles (coltan, or, étain, tungstène, tantale, diamants, bois etc.). Pour plusieurs observateurs, les retombées issues du trafic des minerais congolais, expliquent la persistance des conflits dans la région et l’ingérence manifeste des pays limitrophes dont plusieurs sont exportateurs de minerais comme le coltan alors qu’ils ne disposent pas sur leur territoire de grands gisements. 

En l’état actuel de la situation, n’y a-t-il pas lieu de craindre un affrontement ouvert entre les deux Etats ?
L'Est de la RDC fait un peu office de chaudron avec la présence d’une bonne partie des plus de 120 groupes armés qu’on dénombre dans ce pays. Pendant longtemps, il a été considéré que les conflits qui y avaient cours étaient des guerres par procuration entre les puissances régionales qui se servaient des groupes armés pour leurs propres desseins. Les récentes accusations proférées aussi bien à l’endroit du Rwanda que de la RDC remettent à l’ordre du jour ces manœuvres souterraines d’animation des conflits. On ne peut pas véritablement exclure le risque d’un conflit interétatique, ceci d’autant plus qu’à côté des dénonciations, des actes politiques et diplomatiques forts, comme l’expulsion d’un ambassadeur, symbole ultime de la réprobation des actions posées par un partenaire, il y’a comme une sorte de préparation des imaginaires, de construction d’un narratif avant-coureur de la violence légitime. Plus préoccupant encore, il y’a comme une volonté manifeste d’instrumentaliser l’opinion comme pour préparer les esprits au pire. Et bien que le Rwanda se soit clairement prononcé contre la guerre et ait affirmé que la paix à l’Est du Congo conditionnait la paix au Rwanda, le président Kagamé n’a pas manqué de bien faire comprendre qu’en cas de menace grave à la sécurité de son pays par les FDLR, il n’hésiterait pas à intervenir pour imposer la paix. Lorsqu’on sait que des pays avec qui le Rwanda n’a pas toujours été d’accord sur les stratégies de pacification de l’Est de la RDC, comme l’Ouganda et le Burundi, son...

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