« Un test grandeur nature pour la viabilité du processus électoral »

Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, directeur du séminaire de Géopolitique africaine, Institut catholique de Paris.

Le 25 février prochain, les Nigérians se rendront aux urnes pour élire un nouveau président. Quel regard jetez-vous sur cette élection ?
Le Nigéria est un pays avec un énorme potentiel. Il est grand de par sa superficie, la taille de sa population, estimée à près de 220 millions d’habitants, et de par ses ressources et sa position économique. Sur ce dernier plan, il discute le haut du podium en Afrique avec l’Afrique du Sud. Il s’agit aussi d’un pays qui conjugue avec une mosaïque de cultures, d’ethnies et de religions dont les plus importantes (Haoussa-Fulani, Yoruba, Igbo) jouent un rôle majeur dans les grands équilibres politiques en termes d’exercice du pouvoir. Toutefois, au-delà de ces atouts, il faut dire que ce géant est confronté à de nombreux défis qui impactent sur l’application des principes démocratiques et sur la vie de la Nation. En dehors des difficultés économiques et des déséquilibres sociaux, le Nigéria est tiraillé par cinq conflits liés à l’insécurité et qui le place en état d’urgence quasi permanent. Cette insécurité est le fait de groupes islamistes militants, Boko Haram et sa ramification l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), de bandes criminelles dans le Nord-ouest, des conflits entre éleveurs et agriculteurs, des séparatistes biafrais avec la nébuleuse appelée Indigenous People of Biafra -IPOB, de la piraterie dans le Golfe de Guinée, et enfin, de la violence de la police et de l’armée envers les civils. Cette situation qui laisse planer le doute sur le bon déroulé des élections a aussi eu des conséquences sur l’intérêt des populations pour toutes les élections, en particulier celles présidentielles. Un fort climat de méfiance subsiste. Malgré les mesures prises par la Commission électorale nationale indépendante du Nigéria (INEC) on a enregistré près de 95 millions d'électeurs dont environ 40% de jeunes, seulement des inquiétudes demeurent sur leur participation effective aux scrutins. En réalité, le grand enjeu est de savoir si le Nigéria pourra s’organiser pour accéder à une énième alternance démocratique depuis le retour des civils au pouvoir en 1999. Dès le 25 février, les élections d’un nouveau président et d’un vice-président donneront le ton et seront un test grandeur nature pour la viabilité du processus électoral, et la désignation des 109 membres du Sénat et des 360 membres de la Chambre des représentants, et plus tard, des 28 gouverneurs d'État et des législateurs des 36 États de la fédération. En cas de succès, la démocratie, l’autorité politique et morale du Nigéria seront consolidées.

Il y a quelques semaines, le Comité électoral soulevait des doutes relatifs à l'insécurité qui pourrait entacher le bon déroulement des opérations. A quelques jours du scrutin, faut-il s’en inquiéter ? 
Selon plusieurs sondages, les violences avant, pendant et après les élections constituent la première source d’inquiétudes des populations. Le phénomène n’est pas anecdotique, le Nigéria ayant souvent essuyé de graves violations en période électorale. Cette fois-ci encore la paix et la cohésion sociale se sont dégradées. La Commission électorale nationale indépendante du Nigéria (INEC) en a elle-même fait les frais. Ses installations, bureaux et personnels ont été attaqués (pillages, incendies, enlèvements et assassinats d'officiers électoraux etc.). On a déploré des morts dans une attaque armée contre le siège de l'INEC à Owerri en décembre 2022. D’autres attaques ont été rapportées dans plusieurs autres villes et Etats, notamment dans l’Etat d’Edo à la gare, dans l’Etat d’Anambra, Enugu etc, plus grave un chef du People’s Democratic Party (PDP), Mudashiru Baraka, a été sauvagement tué le 28 décembre. De même, de nombreuses victimes, parfois civiles ont été recensées lors des opérations militaires contre les groupes djihadistes et bandits dans le Nord-Ouest et le Nord-Est. L’INEC a mis en garde toutes les parties prenantes sur le risque que ces violences débouchent sur une crise constitutionnelle.
Cela est de mon point de vue une alerte à prendre très au sérieux. Une crise post-électorale serait en effet une menace grave pour la paix et la sécurité dans ce pays, et aussi, dans toute la sous-région. Il est néanmoins intéressant de noter que les autorités nigérianes, les responsables en charge de l’organisation des élections, les organismes de la société civile ont mobilisé d’importants moyens et ressources pour éviter les dérapages. A côté du dispositif sécuritaire, un peu plus d’un million de personnes seront mises à contribution pour veiller au bon déroulement des élections. Les candidats à l’élection présidentielle ont également été invités à respecter le pacte de paix.

Parmi les dix-huit candidats, Atiku Abubakar, Peter Obi, Bola Tinubu, et Bukola Saraki font figurent de favoris. Qui des quatre pourrait succéder à Muhammadu Buhari ? 
Il n’est pas évident de déterminer d’emblée qui sortira vainqueur de cette compétition électorale, surtout que de nouveaux paramètres tendent à bousculer la configuration politique locale. Il en est ainsi de la présence en grand nombre de jeunes électeurs et de nouveaux candidats charismatiques portés par des partis moins influents. Des facteurs plus anciens ont bien-sûr toujours leur place à l’instar de l’ethnie, la religion, la sécurité, l'économie, la lutte contre la corruption, les sommes mobilisées par les candidats, l’organisation des partis etc. Il est clair que le « zoning system », l’accord non écrit pour l’alternance du pouvoir entre natifs du Nord et du Sud n’apparaît plus aussi rigide que par le passé, encore moins le chevauchement musulman/chrétien. On relève à cet effet le premier billet présidentiel de même foi en trois décennies. Je note par contre que certains candidats semblent réunir plus d’atouts que d’autres, même si le visage de la scène politique nigériane a toujours des traits bic&...

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