« L’armée et la nation sont deux entités indissociables »

Colonel (r) Dr Didier Badjeck, stratège-internationaliste.

En 2001, l’armée camerounaise a connu de profondes mutations structurelles. Pouvez-vous nous dire en quoi elles ont précisément consisté ?
L’armée camerounaise a une histoire particulière qui s’imprime sur les grands moments de la vie politique, sociale et économique du pays. Ainsi, pourrait-on découper cette histoire en quatre grandes phases : il y eu la période de l’indépendance, avec toutes ses conséquences politiques, dont l’une a été la réduction de tous les autres mouvements acquis à la lutte pour cette indépendance, au profit de celui qui promouvait le plus, les intérêts de l’empire qui assurait alors, le protectorat du Cameroun jusqu’à cette période. L’armée naissait des vestiges de l’ancien protectorat quand allait éclater la rébellion qui ouvrait la deuxième phase de l’histoire de l’armée camerounaise, avec une nécessité de la « camerouniser ». C’était une période difficile, marquée par une guérilla résiliente qui s’est d’ailleurs poursuivie avec quelques soubresauts après 1970, quand vînt en 1972, un grand moment de l’histoire du Cameroun, avec l’Unité nationale. Une période d’accalmie succède à cette phase de tumulte marquée par la construction d’une armée qui s’est étoffée par de nouvelles unités opérationnelles, avec des commandements qui traduisaient la volonté de mailler la sécurité du pays, tant à l’intérieur du territoire qu’au niveau transfrontalier. La quatrième phase quant à elle est marquée par l’arrivée au pouvoir du président de la République, Paul Biya, le 6 novembre 1982. Nous ne pouvons pas faire fi de ce grand moment de l’histoire, si nous voulons comprendre l’opportunité de la réforme de 2001. Le début du magistère du président Paul Biya sera émaillé de plusieurs incertitudes politiques, traduisant à un moment, un bicéphalisme à la tête de l’État qui sera dissipé en 1983, où celui-ci se donnera tous les moyens institutionnels et politiques pour diriger le Cameroun. Le 6 avril 1984, une tentative de coup d’État sera déjouée, par l’armée camerounaise restée républicaine. Le président Paul Biya va s’atteler à construire jour après jour, une armée moderne, par des réformes successives, dont celle de 2001 constitue l’un de se chantiers les plus importants pour la Nation camerounaise. Sur un plan totalement doctrinal, s’il a été nécessaire de comprendre l’évolution de l’histoire de l’armée camerounaise, il est aussi tout à fait pertinent d’analyser la doctrine que le chef de l’Etat a voulue implémenter, avec des centres de gravité bien précis. C’est à travers ses discours à l’occasion des cérémonies de triomphe, dont les plus singuliers sont la sortie de la promotion Vigilance de l’EMIA en 1983 et le 30ème anniversaire de l’armée camerounaise à Ngaoundéré, qu’une exégèse peut se construire. Il fallait donner à l’armée camerounaise, des arguments pour l’intégrer au sens des armées modernes, face aux enjeux et défis du monde contemporain, et à la spécificité géopolitique et géostratégique camerounaise, en tenant compte des typologies des menaces, de la professionnalisation et de la modernisation pour les contrer. La réforme de 2001 a été pour ainsi dire, une construction révolutionnaire et pragmatique, un outil en mouvement puisqu’elle va se parfaire au cours des années suivantes et consolider un pilier essentiel du « concept de défense populaire » défini comme étant la politique de défense du Cameroun. L’on pourrait écrire sur la thématique de la réforme de 2001 avec plus de prolixité, tant à notre compréhension, les actions ont été posées avec un pragmatisme stratégique, la construction gigogne des moyens disponibles, et la cristallisation du diptyque armée-nation. C’est pourquoi, nous tenons à ce que le sens de cette approche ne soit nullement dégradé.

En quoi ont-elles été importantes ?
Déjà, elles étaient prospectives de la situation fébrile que vont connaître les sous-régions africaines en général, et celle du Cameroun en particulier. Le Cameroun, grâce à cette réforme a été en avance sur la préparation de l’instabilité sécuritaire qui va se manifester de manière polymorphe sur tout le territoire et ses frontières. Ce qu’il faudrait relever ici est la grande sollicitation des forces de défense et de sécurité, dans la lutte pour la préservation de l’intégrité territoriale, en parallèle aux missions traditionnelles que sont la sécurité intérieure, la lutte contre les nouvelles menaces et les activités interlopes. Toutes choses qui interpellent chaque citoyen à soulager les tâches de ces forces, en gardant des postures patriotiques, au lieu de les soumettre aux élongations opérationnelles supplémentaires, comme c’est le cas, chaque fois que de nouveaux foyers crisogènes naissent à l’intérieur du triangle national. Ceci est considéré pour le moins, comme étant une attitude incivique et antipatriotique. Les mutations ont donné aux Forces de Défense et de Sécurité, une meilleure doctrine d’opérationnalisation et de quadrillage du territoire, soutenue par la politique globale de la défense populaire. Les trois piliers qui marquent ces mutations se déclinent au rajeunissement des effectifs, à la professionnalisation des forces (meilleure binarité entre le personnel et les équipements, ce qui s’entend par des tableaux d’effectif et de dotation -TED- dans le langage militaire) et enfin, à l’équipement des Forces.  

Le concept armée-nation est de plus mis en avant. Comment se matérialise-t-il ?
Le concept armée-nation est mis de plus en plus en avant parce que la société également devient de plus en plus antimilitariste. Les militaires désormais vivent de manière plus proche des civils, et l’on découvre que ce ne sont des hommes avant tout, au contraire du mythe qu’ils représentaient a...

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