« Il ne faut pas attendre de grands massacres pour se réveiller »

Pr. Armand Leka Essomba, chef du département de sociologie à l’Université de Yaoundé.

Malgré les campagnes de sensibilisation et la mise en place d’un cadre juridique, les discours de haine persistent au sein de la société. Qu’est-ce qui explique cette résistance selon vous ?
Les campagnes de sensibilisation et la formalisation des réponses répressives risqueraient d’être vaines, si l’on oubliait d’interroger les sources profondes qui alimentent la persistance, la récurrence et la remontée de ces discours haineux. L’examen de ces sources indique de nombreux facteurs, au rang desquels on peut évoquer la crise de l’Etat-providence, les doutes, les impatiences et les incompréhensions autour de la redistribution des fruits de la croissance... Si, à tout ceci, vous ajoutez la délinquance et l’irresponsabilité de certaines élites politiques qui utilisent les colères sociales en leur donnant une couleur identitaire ou ethno-communautaire dans un contexte de tribalisation générale des rapports sociaux et de la compétition politique, vous comprenez pourquoi les tensions intercommunautaires se multiplient. Ceci, sur fond de production, de rationalisation et de légitimation des lexiques de haine à connotation xénophobe.

Une opinion estime que les discours de haine ne sont pas si importants que cela au Cameroun et que c’est le fait d’en parler tout le temps qui exacerbe plutôt ce mal. Que vous inspire cette grille d’analyse ?
Une telle grille d’analyse reste d’une grande fragilité à la fois intellectuelle, morale et culturelle. Ceux qui ne se sentent pas inquiétés par la remontée des tensions intercommunautaires et la formalisation des lexiques haineux sont tout simplement des cyniques et des irresponsables. Les comportements sociaux se théorisent, se rationalisent et se légitiment à travers parfois des discours irresponsables décomplexés. Ce sont ces discours et cette circulation non contrôlée des lexiques équivoques dans l’espace public qui finissent par structurer les imaginaires et qui peuvent conduire les pauvres à passer à l’acte dans des expériences de fratricides inattendues. En parler, c’est être en veille, par pédagogie politique, sociale et culturelle pour anticiper et mettre en garde. Il s’agit-là d’une tentative louable d’exorcisme qui indique un niveau de vigilance morale appréciable dans une société hétérogène qui concentre comme le Cameroun, plusieurs situations complexe d’explosions sociales. Il ne faut pas attendre de grands massacres et autres expériences de grands suicides, dont on a des illustrations à moindre échelle avec les frictions meurtrières que l’on connaît épisodiquement çà et là dans certaines régions du pays, pour se réveiller et se morfondre. 

Le gouvernement annonce une nouvelle stratégie de lutte qui allie répression et sensibilisation. Quel regard jetez-vous sur les différentes initiatives menées par les différents acteurs pour combattre ce phénomène ?
Je suis heureux que le gouvernement ait pris la mesure de ce phénomène qui devient un fléau. Après l’important colloque que le département de sociologie de l’Université de Yaoundé I et le Laboratoire camerounais d’études et de recherches sur les sociétés contemporaines, en partenariat avec l’organisation DEFYHATENOW, ont organisé il y a quelques semaines, le gouvernement a fait une importante déclaration qui renforce les politiques de pédagogie institutionnelle pour lutter contre ce fléau. Sur le terrain, il existe de nombreux acteurs de la société civile qui militent pour une société plus inclusive et plus fraternelle. Il reste toutefois beaucoup d&rs...

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