« Une partie de l’élite politique souhaite l’abolition du système fédéral »

Mariette Edimo Mboo, PH. D Chercheure / Enseignante permanente à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC)

Comment expliquer que quelques mois après la crise du Tigré, le gouvernement éthiopien soit confronté à un nouveau conflit contre un autre Etat fédéral ?
Il est important de faire un bref rappel de la crise du Tigré. De fait, le conflit opposant l’Ethiopie au Tigré tire ses sources de la tentative du Front de Libération du peuple du Tigré (dirigeant de la région du Tigré) de faire sécession, tentative notamment motivée par le désaccord du FLPT avec la volonté du premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, de mettre fin au système politique ethno centré en vigueur. Ce conflit avait démarré en novembre 2020, lorsque le gouvernement éthiopien a accusé les Forces du FLPT d’avoir attaqué l’armée fédérale basée au Tigré et a décidé de lancer une offensive dans cette région. Cette volonté amène ce dernier à supprimer le Front démocratique révolutionnaire du Peuple éthiopien (FDRPE) qui dirige l’Ethiopie depuis 1994 et dont il est lui-même issu. Ce parti avait pour particularité d’être une  coalition constituée d’une multitude  de partis  ethniques. Cette suppression se fait au profit  de la création du parti  de la prospérité (PP)  qui est un  parti centralisé ne représentant  aucune  ethnie. La suppression  du FDRPE  a également  pour conséquence  de réduire  l’importance  politique  de l’ethnie tigréenne qui dominait  politiquement  l’Ethiopie  depuis 1994. Cela amène le principal parti politique tigréen, le FLPT, à refuser son intégration politique au sein du parti de la prospérité d’Abiy Ahmed et de conduire à des élections séparées, jugées illégales par le pouvoir central. Cette dissidence aboutit  donc à une brutale  montée  des tensions entre  les autorités régionales du Tigré et le gouvernement  fédéral. En novembre 2020, le gouvernement  éthiopien  accuse  le Tigré d’avoir  déclenché les hostilités en attaquant  des bases  de l’armée  fédérale dans la région. Ce dernier dément et indique de s’être défendu face à des attaques menées par l’Ethiopie et l’Erythrée. Quoi qu’il en soit, le 4 novembre 2020, le gouvernement annonce une opération militaire contre les autorités du Tigré. Cette guerre civile fratricide  durera deux ans et prendra fin  avec un accord  de cessez-le-feu signé à Pretoria.  Malgré cet accord de paix, il faut dire que les causes  du conflit  demeurent. Ces causes sont : la question des nationalités, la forme que doit  prendre  l’Etat  éthiopien, le partage  des pouvoirs entre  les régions  et le pouvoir  central. Ceci rend la question de plus en plus complexe, puisque la situation panoramique simplifiée du paysage politique éthiopien indique que dans ce pays, s’opposent les unionistes, les ethno fédéralistes et les fédéralistes. Chacun ayant  une lecture différente  de la constitution  de 1994. Le premier ministre  défend une lecture  unioniste du système. Sa philosophie « Medemer », un mot amharique qui se traduit par « addition » ou « rassemblement ». Cette velléité d’unification a conduit à la création du parti de la prospérité que les élites du Tigré n’ont pas intégré. Une partie de l’élite politique, essentiellement  Amhara, s’y rattache et souhaite  abolir  le système  fédéral au profit d’un système unitaire. Cette lecture unitaire s’oppose à celle des ethno fédéralistes dont les Tigréens sont les initiateurs. Ils tiennent  des discours  nationalistes  et prêchent  pour une  autonomie régionale forte, voire  la sécession pour les  plus radicaux. Enfin, les  fédéralistes  qui développent  une vision  d’un fédéralisme  multinational qui soit  respectueux de la  diversité ethnique du pays. Aux facteurs  identitaires et économiques, s’ajoutent  des facteurs  idéologiques. Dans ce cadre, chaque  acteur  conteste  la légitimité de l’autre  partie. C’est en raison de tous ces éléments qu’il n’est pas surprenant de voir que le gouvernement éthiopien soit à nouveau confronté à un nouveau conflit contre l’autre Etat fédéré.

Le peuple Amhara qui a soutenu le gouvernement contre le Tigré affirme que le gouvernement l’a trahi en ne soutenant pas ses revendications sur le Tigré occidental. Dans quelle mesure l’affirmation est-elle fondée ?
Pour mieux appréhender cette question, il faut comprendre que les Amharas ont longtemps formé le cœur de l’Ethiopie impériale. Les élites de cette ethnie ont   été celles qui dirigeaient le pays. Davantage, la langue amharique appartient à la famille linguistique sémitique, comme l’hébreux et l’arabe. Elle est la langue officielle  de l’Etat éthiopien. Bien qu’étant un groupe ethnique majoritaire en Ethiopie, les Amharas se sentent marginalisés. Il faut préciser que la relation à un certain moment entre l’Ethiopie et les Amhara  était  liée  au soutien de ces derniers à l’Ethiopie face au Tigré ;  en mobilisant  des troupes pour aider  le gouvernement  éthiopien à contrecarrer  les forces rivales tigréennes qui tentaient  de le renverser. Aujourd’hui encore, Abiy Ahmed est confronté à une formidable remise en cause  de son pouvoir par  les milices connues sous le nom  de FANO, mot  amharique que l’on peut traduire par « combattants  volontaires ». Cette expression a été  popularisée dans les  années 1930, lorsque  les « combattants  volontaires »  ont rejoint l’armée  de l’Empereur Haile  Selassie pour combattre  les  envahisseurs italiens. Elle est encore utilisée aujourd’hui par les fermiers  et les jeunes  hommes qui ont  formé des milices pour  défendre le peuple Amhara  dont  l’avenir  est, selon eux,  menacé par le  gouvernement et d’autres groupes ethniques. Les Amhara  considèrent  leur région comme  le berceau  historique  de l’Ethiopie que l’Empereur  Amhara Tewodros a contribué à unifier  et à  centraliser  au XIXe siècle , et  ont gardé un ascendant sur sa  politique pendant  une  bonne partie  du XXe siècle. Entre temps,  la crise  est si grave  que de  nombreuses personnes affirment  que le gouvernement  de l’Etat  d’Amhara, contrôlé par le parti  de la prospérité  de M. ABIY, au pouvoir est sur le point  de s’effondrer, les principaux responsables ayant fui vers la capitale fédérale. Cette violence remonte &...

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