Productions audiovisuelles : et nos valeurs alors ?


Flashback. Nous sommes en 1994. Les images reçues des écrans de téléviseurs sont encore en noir et blanc dans plusieurs ménages. D’ailleurs, avoir un téléviseur dans un village ou un quartier est un privilège qu’on ne boude pas. Dans cet environnement, un téléfilm crève l’écran et impose un rendez-vous culte chez les téléspectateurs : « La succession de Wabo Defo ». Réalisé par Daouda Mouchangou, c’est une adaptation cinématographique datant de 1987 de la pièce de théâtre de Jean Paul Tueche, digne fils Bandjoun à l’Ouest Cameroun. Ce véritable chef-d’œuvre de 113 minutes, a laissé un souvenir impérissable dans la mémoire collective. Et pour cause ! Le téléfilm diffusé sur les antennes de la Cameroon Radio and Television, a été la peinture fidèle et originale de l’expression colorée de nos us et coutumes. En effet, c’est l’histoire de la succession, ficelée autour des manœuvres des guérisseurs impavides qui essaient d’extorquer de l’argent aux fils de Wabo Defo, pour leur « vendre » le titre. Wabo Defo, grand et riche notable Bamiléké, meurt brusquement sans laisser de testament. Il lui faut nécessairement un successeur. Le choix de ce dernier qui doit se faire parmi ses enfants légitimes, échoit à ses pairs notables du village et au chef. Certains amis du défunt se lancent dans des entreprises de corruption, de parasitisme et d'escroquerie en nourrissant les orphelins et les veuves de promesses.... 
On aurait pu s’inspirer aussi de « L’étoile de Noudi » ou du « Revenant », pour revisiter les séquences marquantes de l’exaltation de l’identité nationale, à travers les productions audiovisuelles. Ce, à l’aune de la digitalisation des contenus, avec comme corollaire un flux parfois incontrôlé de produits venus d’ailleurs. D’emblée, il ne s’agit pas de récuser les réalités implacables projetées par le « Village planétaire » du célèbre sociologue et philosophe Marshall McLuhan. Ce dernier démontrait en effet que « les moyens modernes de communication audiovisuelle, mettent en cause la suprématie de l’écrit ». Autrement, il s’agit d’un monde unifié, où l’information véhiculée par les médias de masse fonde l’ensemble des « microsociétés » en une seule. Il n’y aurait désormais, selon lui, qu’une seule culture, comme si le monde n’était qu’un seul et même village, une seule et même communauté. Soit. Mais la question essentielle serait donc se savoir ce que nous apportons dans ce « rendez-vous du donner et du recevoir ». Face à la mondialisation dont les affres sont amplifiées par les Technologies de l’information et de la communication, sous le diktat d’une industrie culturelle animée et alimentée par les grandes puissances, il y a lieu de réécrire notre scénario dans ce concert d’écrans de géants. Et les médias audiovisuels sont un écrin de choix, pour porter et amplifier ce plaidoyer. 
De manière concrète, l’on peut convoquer plusieurs arguments pour soutenir la thèse de la promotion des valeurs locales dans nos productions audiovisuelles. D’abord au plan législatif et institutionnel, avec notamment la loi n°2015/007 du 20 avril 2015 régissant l'activité audiovisuelle au Cameroun. A la lecture de cet instrument juridique, il est clair que le législateur a tenu à la protection et la promotion des productions locales, à travers l’imposition des quotas dans la diffusion des programmes. La production audiovisuelle nationale y est définie comme un « ensemble des œuvres audiovisuelles produites par des entreprises de droit camerounais dont les contenus ont un fort enracinement dans l’environnement social, culturel, politique et économique national ». A cet égard, l’on prescrit le respect scrupuleux des « obligations de quotas de diffusion de la production audiovisuelle nationale et de la production indépendante ».
Au plan politique, l’enjeu lié au respect des exigences de contenu local dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel est celui de la préservation de l’identité nationale. John Sinclair, chercheur australien, pense que « les industries culturelles sont des industries qui produisent des biens ou des services qui expriment d’une façon ou d’une autre la manière de vivre d’une société, comme le film et la télévision, ou encore qui occupent une place particulière dans son système de communication sociale ». Ce sont donc des industries qui expriment et transposent la vie sociale en musique, en mots, en images. Elles offrent les termes et les symboles qui façonnent notre pensée et notre discours à propos de nos différences sociales, du désir de divers groupes d’être reconnus, de l’affirmation et de la contestation des valeurs sociales, et enfin de l’expérience du changement social. Sous ce prisme, on peut facilement s’apercevoir que le droit à l’expression culturelle sera sérieusement compromis si des produits culturels étrangers pénètrent en grande quantité sur le territoire national, tels qu’ils en arrivent à étouffer la prod...

Reactions

Commentaires

    List is empty.

Laissez un Commentaire

De la meme catégorie