« Les pouvoirs publics ont le devoir de financer réellement l’audiovisuel »

Pr. Gervais Mbarga, Ph. D.Professeur titulaire à l’Université de Moncton au Canada et spécialiste de la programmation TV.

Que vous inspire la demande de suspension d’une chaîne du bouquet Canal+ formulée par le Conseil national de la communication à l’endroit du diffuseur ?
Cette démarche signifie à mon avis que le CNC prend ses responsabilités vis-à-vis des Camerounais et des éditeurs des programmes de télévision. Partout dans le monde, le régulateur s’assure que sa collectivité est protégée dans ses valeurs, sa morale et son éthique, dans sa culture, dans son économie, dans la représentation de sa destinée politique et sociétale. En France l’Arcom, et autrefois le CSA, intervient régulièrement pour agir sur la violence, l’égalité homme-femme, l’antisémitisme, la protection de la jeunesse, etc. Le CNC doit le faire, non pas uniquement pour protéger nos valeurs, notre identité culturelle, notre personnalité collective et les sauvegarder, mais aussi les enrichir, les affermir et même surtout, les promouvoir. Le CNC doit le faire, c’est cela son devoir, dans l’intérêt, j’allais presque dire particulier du public, ainsi que pour les besoins spécifiques et les aspirations fortes des Camerounais d’abord. Il me semble d’ailleurs que le CNC devrait être plus proactif. Il édicterait alors, en amont, des directives et des recommandations sur les productions télévisuelles de flux comme de stock. 

Jusqu’où peuvent aller les Africains dans leur posture face à l’Occident qui tente d’imposer ses valeurs, à l’instar de cette propagande de plus en plus affichée de l’homosexualité ?
Cela peut sembler dérisoire à première vue de vouloir affronter l’Occident, si l’on considère sa puissance idéologique, technologique, géostratégique et culturelle actuelle. Cependant, deux indices montrent que l’Occident n’est pas imbattable. D’abord les craquements en son sein, manifestés par des divergences de plus en plus visibles. On n’a qu’à penser aux guerres et aux menaces de guerre dans cette partie du monde ; on n’a qu’à se rappeler l’exception culturelle exigée il y a quelques années par la France face aux USA. Il n’y a qu’à constater le déplacement de la puissance vers la Chine et l’Inde. Ensuite, l’Afrique elle-même a des arguments : c’est le continent où les jeunes sont les plus nombreux, où la nature est la plus généreuse, où les gens vivent avec le plus d’optimisme, et c’est aussi le continent qui sera le deuxième en termes de population dans moins de 20 ans : près de 2 milliards et demi de personnes. L’Afrique a donc le gros bout du bâton. Elle peut valablement affronter l’Occident. Et l’Occident est en perte de vitesse. J’ai d’ailleurs l’impression que c’est la raison pour laquelle il tente de s’accrocher par sa culture et en médiatisant ses nouvelles idéologies comme celle de l’orientation sexuelle.

L’Afrique a-t-elle eu tort de trop ouvrir son paysage médiatique ?
Pour dire vrai, l’Afrique n’avait pas beaucoup de choix. À cause des technologies et de la mondialisation, il était impensable que notre continent vive en vase clos dans une sorte de tour d’ivoire. D’ailleurs, l’ouverture n’a pas que de mauvais côtés. Grâce à elle, l’Afrique s’est insérée dans le mouvement et y participe activement. Dans quelques années, l’Afrique deviendra, avec sa population, le deuxième plus grand marché de l’audiovisuel au monde. Avec une position comme celle-là, il vaut mieux ne pas se faire de complexes et, au contraire, en être fier. Sans doute que le problème de l’Afrique, précisément, sera celui de la règlementation et de la régulation dans ce très gros marché audiovisuel. Et c’est pour cela qu’il faut encourager les forces actuelles et les renforcer. Non pas uniquement dans les questions d’orientation sexuelle, mais dans toute la problématique de l’éthique des produits et des contenus audiovisuels. Cette éthique est relative à la violence, au sexisme, à l’âgisme, à la protection des enfants et de la jeunesse, à la protection de la nature. Et, en ce qui concerne l’Afrique, la protection de nos valeurs : la solidarité, le respect des aînés, le respect de la famille, le respect des enfants, l’équilibre, l’harmonie, l’équité, l’honnêteté, etc. 

Pourquoi, 60 ans après les indépendances, les Africains ont-ils autant de mal à trouver leur place dans le marché mondial des programmes de télévision ?
Les Africains et surtout leurs dirigeants ont d’abord considéré la télévision comme un outil uniquement d’information événementielle. Or, la télévision est née d’abord comme lieu de culture, un espace de spectacle, une occasion de divertissement, un moteur d’apprentissage et de promotion des valeurs. Les premiers programmes, essentiellement musicaux, attestent de cela. La dimension informative ne survient qu’&a...

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