Interview : « La reprise de Kidal est une victoire stratégique »

Pr. Joseph Vincent Ntuda Ebodé, professeur titulaire des universités hors échelle, directeur du Centre de recherche d’études politiques et stratégiques (Creps) de l’université de Yaoundé II-Soa.

 

L’armée malienne est en pleine offensive en vue de reconquérir les territoires du nord tombés aux mains des rebelles indépendantistes depuis plus d’une dizaine d’années. Parviendra-t-elle à atteindre cet objectif surtout au regard de l’ennemi en face ?
C'est une question qu'on ne peut pas se poser au sujet d'une armée professionnelle. Principalement, parce que c'est est justement sa mission : défendre l'intégrité territoriale malienne et en situation de guerre, la recouvrer, là où elle a été momentanément et illégitimement occupée. La véritable question devrait être de savoir combien de temps cette contre-offensive de recouvrement du territoire pourrait prendre à l’armée, face à plusieurs ennemis asymétriques.

En fait, l’armée malienne doit faire face à une kyrielle de mouvements terroristes et/ou politiques en décomposition et en reconstitution continues : les forces touarègues de l'ADC qui prirent possession de la ville le 23 mai 2006;  les rebelles du groupe salafiste Ansar Dine menés par Iyad Ag Ghali qui, le 30 mars 2012, suite à une nouvelle rébellion touarègue, ont pris Kidal après 24 heures de combat contre l'Armée malienne; le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), associé au Mouvement islamique de l'Azawad (MIA)-fraction d'Ansar Dine qui a annoncé sa scission le 15 janvier 2013, et déclare avoir pris le contrôle de Kidal au moment où les forces françaises, dans le cadre de l'opération Serval, et maliennes libéraient Gao puis Tombouctou; le Mujao qui a revendiqué, le 26 février 2014, un attentat suicide à la voiture piégée, ayant fait au moins quatre à six morts, est perpétré contre une barrière militaire tenue par les troupes du MNLA et du MIA.....

Mais en tenant compte du retour d'expérience des forces maliennes, du fait que cette armée est désormais appuyée par Wagner, tant dans le renseignement, le conseil, que dans les opérations, et aussi du fait que les forces maliennes ont la maîtrise du ciel, il ne fait pas de doute qu'elles auront le dessus tôt ou tard. Toutefois, une victoire militaire n'étant pas synonymes d'une réconciliation politique, on devrait s'attendre, encore pour longtemps, à ce que des actions d'éclat sporadiques de la part des groupes terroristes vaincus continuent. En raison des manquements observés dans la mise en œuvre des accords d’Alger.
 

Considéré comme bastion stratégique de la rébellion, Kidal a été reconquise. Pensez-vous, que l’armée sera à même de reprendre de nouveaux territoires à des groupes armés ?
Le théâtre sahélien est un espace en largeur et en profondeur dans lequel s’affrontent plusieurs forces. Ce théâtre rend donc possible plusieurs batailles se déclinant en rudes combats. Dès lors, toute prise territoriale pour l'armée malienne est, non seulement bon pour le moral des troupes qu’elle galvanise, mais aussi et sur le plan tactique, elle rapproche les forces des nouvelles cibles à conquérir... C'est-à-dire des nouveaux fronts. Et dans la mesure où, l’ordre des batailles dans cette guerre des positions aux enjeux territoriaux, est un facteur déterminant de la victoire totale et finale, la prise de Kidal en tant que centre régional, est une victoire stratégique qui sans doute, annonce d'autres prises.

En fait, même s'il ne faille pas écarter toute nouvelle velléité de reprise de cette ville par les multiples assaillants ; il reste que la prise de Kidal par les forces régulières et leurs alliés en novembre 2023, après 9 ans de contrôle par les rebelles (2014-2023) est une victoire susceptible d'impacter sur la victoire finale.  Certes, cette prise ne s'est pas passée d'un trait, et à ce titre est porteuse de nombreuses interrogations sur la capacité de l'armée malienne à conserver et à préserver cet acquis. Mais, quoique ces interrogations soient au demeurant compréhensibles, la vérité est qu'elles ne prennent pas en compte certains facteurs du théâtre, favorables aux forces maliennes actuellement. Parmi ces facteurs, on peut principalement citer deux :  l'absence d'unité des acteurs du front des assaillants d'une part, la nouvelle configuration des rapports de force sur le théâtre d’autre part. Sur le plan de la configuration, on note ainsi, l'émergence il n’y a pas longtemps d'une coalition d'États du Sahel (Burkina, Mali et Niger), qui n'existait pas jusque-là, pour faire face à ces mouvements rebelles et terroristes transfrontaliers.

Cette coalition, en paralysant la mobilité des as...

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