« Tout le monde a intérêt à s’impliquer »

Dr Sylvestre Noa, enseignant au département de Sociologie, université de Yaoundé 1

Pendant la période électorale de 2018, les discours de haine et de xénophobie ont atteint la cote d’alerte au Cameroun. Selon vous que faut-il faire pour que cela ne se reproduise ?
Pour commencer, il faut souligner que les discours de haine sont une manifestation parmi tant d’autres du rejet d’autrui. La haine est à la fois un acte visible et invisible. Le discours de haine fait partie de la dernière catégorie. Une fois ce préalable fait, on en vient concrètement à votre question. Que faut-il faire pour que la déferlante haineuse de 2018 ne se reproduise plus ? Pour y parvenir, je crois qu’il faut un tant soit peu oublier de se focaliser sur les discours de haine, pour la simple raison qu’ils ne sont pas les seules formes de rejet. Il faut plutôt s’interroger sur ce qui dans notre contexte, peut amener les individus à développer silencieusement ou bruyamment la détestation des autres. En effet, celui qui développe le discours de haine n’est pas différent de celui qui silencieusement ou hypocritement décide de ne pas par exemple fréquenter un espace commercial appartenant à un ressortissant d’une communauté différente de la sienne, ou celui qui obstrue la voie à la contraction d’un mariage exogamique, à l’accès à un emploi. Pour éliminer les discours de haine dans notre société, il faut donc travailler à ce que le quotidien se construise autour de l’acceptation d’autrui. Il faut imaginer des arts de vivre qui amènent à construire des fraternités trans-éthniques. Cela revient à identifier clairement et humblement les raisons qui peuvent pousser les individus à se dresser contre ceux n’ayant pas en partage avec eux la même identité anthropologique. Une de ces raisons est sans doute le partage des ressources vitales : terres, emplois, argent, privilèges sociaux divers, distinctions sociales de tout ordre. Il faudra intégrer le droit au partage, la nécessité salvatrice d’une jouissance collective et commune. On devra arriver à comprendre au final que le bonheur authentique et durable, l’existence pérenne, passent par l’intégration de l’alter ego anthropologique.  

D’aucuns ont estimé et continuent d’ailleurs de penser que certains acteurs politiques sont à l’origine de la montée en puissance cette situation, quelle analyse faites-vous ?
Le monde politique ne peut être étranger à la prolifération des discours de haine. Car la politique est la principale voie qui mène à la gestion et même au partage des ressources vitales, principale pomme de discorde sociale à notre sens. De ce fait, volontairement ou involontairement les acteurs politiques ouvrent la brèche au développement des comportements haineux. Car des acteurs de divers horizon y voient une opportunité de conquête, de conservation ou d’augmentation des ressources vitales. En effet, les hommes sont d’abord des êtres qui ont des affinités entre eux ; lesquelles parfois peuvent faciliter l’accès à certains privilèges sociaux. La recette doit consister à travailler à plus de neutralité, de manière à ce que l’on ne pense plus que les affinités sont la clé d’ouverture du paradis. 

Pour réduire à leur plus simple expression, la prolifération de ces discours, les pouvoirs publics ont pris moult mesures (la loi contre les discours de haine, les campagnes de sensibilisation populaire, etc.). Quelle évaluation faites-vous de leur mise en œuvre ?
Cette réaction des pouvoirs publics est opportune et salvatrice. Elle traduit la volonté des pouvoirs publics à fermer la voie au développement des comportements hostiles à la cohésion sociale et à la pérenni...

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