« L’ordre ancien est remis en cause »

Dr Moïse Tamekem Ngoutsop, sociologue-chercheur, université de Douala.

Partagez-vous le constat selon lequel les jeunes dérapent de plus en plus ?
Je suis effectivement d’accord avec ce constat. Il s’observe de plus en plus aujourd’hui, en milieu juvénile, un ensemble de dérapages. Le constat est formel. Cet ensemble de dérapages peut se décliner de plusieurs façons. On observe par exemple des déviances sur le plan de la gestion de la sexualité en milieu juvénile. Pour ce qui est de la question sexuelle dans notre société aujourd’hui, on assiste à des débordements, à un ensemble de déviations, qui remettent en cause les ordres anciens, et qui vont jusqu’à déstructurer même les fondements de la famille. A travers la déviation « inceste », par exemple. Donc, sur le plan de la sexualité, la situation est assez préoccupante, et mérite qu’on y prête beaucoup d’attention. On observe également des déviations sur le plan même du respect du droit d’aînesse. Jusqu’à une période relativement récente, il était possible pour un adulte de sanctionner le comportement déviant d’un jeune aperçu dans la rue. Il suffisait qu’il soit son aîné pour le réprimander après une faute. Aujourd’hui, si vous essayez de le faire, les gens seront les premiers à vous demander si vous êtes le père, la mère ou le grand frère de ce jeune. Les exemples peuvent être multipliés à l’envi qui illustrent cette dépravation.

Comment expliquer ce phénomène somme toute déplorable ?
Nous parlerons d’explication, et non de justification. Parce que quand on explique un phénomène, ça ne veut pas dire qu’on le justifie. A mon humble avis, l’explication qu’on peut avoir est la suivante : depuis quelques décennies maintenant, nous assistons à une sorte de transformation globale qui a saisi nos sociétés. Nos sociétés sont aujourd’hui davantage ouvertes. En d’autres termes, les canaux de socialisation qui ont longtemps prévalu chez nous (au moins depuis la post-indépendance) se sont multipliés. Avant, les principaux canaux de socialisation étaient la famille et l’école. Et davantage l’école, parce que c’est là-bas que l’enfant acquérait sa personnalité sociale. Par ces voies, il était encore possible de canaliser les comportements et de contrôler un certain nombre de choses. Avec la multiplication de ces canaux de socialisation, l’école se retrouve confinée dans une portion congrue. Ce n’est plus seulement à travers l’école qu’on apprend. Désormais, chaque village a sa fenêtre ouverte sur le monde. Avec Internet, la télévision, la radio, les voies de communication qui s’ouvrent partout, les sociétés jadis fermées sont ouvertes, ouvertes à la modernité. Malheureusement, dans notre contexte, il s’opère une sorte de retournement par lequel ce qui se passe ailleurs est dupliqué ici par mimétisme. Et c’est un mimétisme inapproprié. On assiste donc à des déviations, qui prennent source dans des slogans de liberté, de « droits de l’enfant », etc.

Un certain relâchement parental est parfois pointé du doigt. Comment comprendre cette sorte de démission ?

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