Le père Doumba

Ce soir-là, c’est un ami qui m’informe de ma nomination comme Directeur Général adjoint de la Société de Presse et d’Edition du Cameroun (SOPECAM). 
-Et tu sais qui est ton patron ?
-Non.
-Monsieur Joseph Charles DOUMBA.
-Qui ?  Le ministre DOUMBA ? Voyons, tu plaisantes …
-Non, non. Ce n’est pas une plaisanterie. Tu es DGA de la SOPECAM et Monsieur Joseph Charles DOUMBA est ton DG.

L’instant me paraît surréaliste, n’ayant jamais rêvé d’un tel destin : que je fusse retenu par le président de la République pour succéder, comme directeur général-adjoint de la SOPECAM,  au mythique Henri BANDOLO promu ministre de l’Information et de la Culture, et, au surplus que je devinsse le plus proche collaborateur du ministre Joseph Charles DOUMBA, présenté comme l’un des hommes politiques les plus influents de son temps, l’une des rares personnalités jouissant de surcroît du privilège  de chuchoter  aux oreilles du chef de l’Etat.
 Le lendemain de ma nomination, j’entreprends d’aller vers mon patron afin de me présenter à lui sans attendre le cours habituel des événements. C’est un samedi matin. Le soleil s’est levé très tôt et à 9heures déjà, il brûle sans façon et sans rémission. J’arpente les rues, les ruelles et les sentiers du quartier Bastos, sans ressentir la moindre fatigue, à la recherche du domicile du nouveau directeur général de la SOPECAM. J’interroge par ci, par là pour obtenir un renseignement, en laissant toujours croire que je connais bien les lieux, et que j’ai simplement perdu mes repères au regard des transformations subies par le quartier. Au bout d’une bonne heure, j’obtiens fortuitement, auprès d’un passant qui en revient, la bonne information qui me permet de retrouver la résidence de M.  DOUMBA. Bien qu’elle en impose, la demeure n’a rien de cossu. A l’évidence, c’est une résidence convenable pour un haut dignitaire de la République. Aucune outrance architecturale. Pas de clôture épaisse s’élevant interminablement vers le firmament. Rien d’ostentatoire, rien de cossu, rien de scandaleux. Ni berger allemand, ni bouledogue.
Je me présente au gardien de la paix en faction à la guérite. Il requiert ma carte d’identité nationale et me demande poliment d’attendre non sans avoir bredouillé un ‘’oooh,  oooh, c’est l’adjoint du patron!  ’’.
Quelques minutes plus tard, je suis introduit dans une salle dont la configuration, l’imposante bibliothèque et le bureau juste encombré d’un livre ouvert suggèrent l’ordre, le travail et la culture. Du côté gauche de la pièce, faisant face au bureau, deux fauteuils en bois sapelli à équidistance d’un pot de fleurs sont disposés sous une large fenêtre sécurisée, ornée d’un voile beige dentelé qui frissonne au passage d’une brise légère et bienfaisante. A l’autre bout de la salle un fauteuil rembourré est installé.  Je ne sais pas s’il faut m’asseoir, ni même où m’asseoir. Tandis que les minutes s’égrènent facétieusement et interminablement, ma curiosité s’attarde sur le contenu de la bibliothèque dont je me rapproche imprudemment.
Le bruit sourd des pas saccadés sur les marches de l’escalier jouxtant la salle dans laquelle je me trouve me soustrait à ma curiosité. Je m’éloigne promptement de la bibliothèque, je me tiens bien droit non loin de l’un des fauteuils et, croisant les mains sur mes jambes, je tourne mon regard vers les portes où apparaît le propriétaire des lieux tout de blanc vêtu, à l’africaine : boubou et sandales.
Nous échangeons des regards soutenus pendant quelques secondes tandis qu’un étrange frisson me parcourt tout le corps. Je suis comme nulle part, je suis comme ailleurs. Une poignée de mains ferme et brève. Puis :
-‘’ Bonjourrrr, mon…si…eurr le Directeur Général adjoint. (bref silence).  C’est bien vous, le nouveau Directeur Général adjoint de la Sopecam !… Si c’est bien vous, je vous présente mes félicitations…. Mais asseyez-vous donc… Vous êtes si jeune. Vous pourriez avoir l’âge de l’un de mes enfants. Vous pourriez être mon fils. J’observe que le président de la République m’a donné un fils pour adjoint. C’est bien ainsi. En tout cas, on m’a dit beaucoup de bien de vous ».
J’esquisse un sourire intérieur pour ne laisser paraître la moindre émotion. Alors que j’organise ma pensée pour oser une réaction, il poursuit : 

-Comment va la Sopecam ? Vous êtes de la maison je crois… On me dit qu’elle connaît quelques difficultés… C’est important Cameroon-Tribune, très important. Nous prendrons le temps de comprendre. Mais sachez bien que je n’ai pas l’intention de m’abîmer davantage. Puisque vous connaissez la maison, je voudrais vous dire que vous en serez le pilote et, moi, le surpilote…
Je cache certainement mal mon étonnement puisqu’il renchérit :
-‘’Oui, oui, notre attelage sera celui-là, vous serez le pilote et moi le surpilote. Croyez-moi, tout se passera bien, j’en ai l’intuition.
Les mains jointes sur mes lèvres j’écoute. Attentivement. Religieusement. Insatiablement. Notre entretien qui s’ouvre sur des sujets divers dure et perdure.  Il avait commencé par un ‘’bonjour’’, il s’achève sur un ‘’bonsoir’’. 
Ainsi s’amorce ma connexité avec Joseph Charles DOUMBA. De 1988 en 2006, à la SOPECAM et au secrétariat Général du Comité Central du RDPC, j’ai le privilège et le bonheur de vivre dans la proximité d’un tempérament exceptionnel dont la pensée, subtile et habile, généralement  portée par un propos ciselé dans une chorégraphie linguistique envoûtante, se dévoile en des formules cinglantes, parfois surprenantes, très souvent inspirées et révélatrices, à coup sûr, d’un orfèvre des mots.
Le Père DOUMBA, c’est ainsi que les plus jeunes autour de lui le désignent affectueusement, me subjugue d’abord par sa passion pour le président Paul BIYA, pour l’homme BIYA dont il parle régulièrement et intensément avec amour et quasiment avec dévotion, en tout cas avec un grand talent, à l’instar des conteurs de chez nous, lorsqu’ils retracent les pâtures des valeureux hommes du terroir. Il évoque le destin du Président, « un destin que nul ne connaît et que personne ne peut compromettre ». Il raconte comment en cette fin de matinée de novembre 1982, il reçoit « en primeur » des mains du Président Ahidjo « pour relecture » la mouture du « testament », le projet de texte que le Chef de l’Etat a préparé pour annoncer sa démission de ses fonctions. « Je reçois le texte dont je découvre le contenu dans le bureau présidentiel. Il n’est pas long. Je le lis et spontanément, et tout naturellement, je dis au Président Ahidjo : Monsieur le Prédisent, c’est parfait. Vous avez fait le bon choix ».  Il réalise à cet instant qu’il en a peut-être trop fait ou trop dit. Et si c’était un piège ? Le Président Ahidjo était si finaud, si rusé… Il est très vite rassuré. Ahmadou Ahidjo lui sourit, le remercie mais le met en garde : « n’en dites surtout rien à personne ». 
Tout se passe très bien jusqu’au moment où « des démons s’en mêlent ». C’était pourtant « une transition magnifique, une transition idéale, une transition de rêve. Le destin du Président s’accomplira coûte que coûte. Les démons sont partout. Ils trahissent l’idéal du Renouveau, ils trahissent le Président. Ils ne servent plus l’Etat, ils s’en servent. » Charles Péguy tenait quasiment un propos identique : « la mystique républicaine, c’était quand on mourrait pour la République, la politique républicaine, c’est à présent quand on en vit ». Il était vraiment difficile de ne pas éprouver de la sympathie pour le Président BIYA lorsque Joseph Charles DOUMBA en parlait.
Le Père DOUMBA, c’est également l’homme d’élévation, détaché des contingences, pour qui la frénésie galopante pour l’accumulation des biens matériels constitue « un o...

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