Centrafrique: les voies de la reconstruction

Dossier

Ces derniers jours, la situation sécuritaire est particulièrement tendue en République centrafricaine. Cette nouvelle situation est liée à quelques dates et événements. D’abord le samedi 13 mai 2017, le quartier musulman de Bangassou (470 km à l’est de Bangui) a été attaqué, provoquant la mort d’au moins 26 civils. Ensuite, le mardi 16 mai à Bria (centre), des affrontements ont eu lieu entre anti-Balaka pro-chrétiens et factions ex-Séléka pro-musulmanes. Le bilan de ces violences fait état de la mort six soldats de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), tués dans l’attaque de leur base militaire. Ces incidents violents sont venus rappeler à quel point le chemin vers la paix reste semé d’embûches en Centrafrique. Ils sont davantage venus mettre en relief les difficultés du gouvernement du président Faustin-Archange Touadéra au pouvoir depuis quinze mois à remettre le pays en ordre de marche.
Pourtant, l’élection d’un nouveau président et celle d’une nouvelle Assemblée nationale avaient fait naître l’espoir d’un véritable renouveau de la Centrafrique. Les nouvelles autorités s’y emploient en tout cas depuis de longs mois. Mais à l’évidence, les stigmates de la guerre civile qui avait embrasé le pays au lendemain de la chute de l’ex président, François Bozizé en 2013 restent visibles. Entre les communautés religieuses (musulmans et chrétiens) la confiance n’est pas totalement revenue. Et à moult reprises, cette animosité a été la source de nouveaux affrontements. Par ailleurs, les difficultés structurelles et économiques du pays ne contribuent pas à apaiser les tensions. Ainsi, les nombreux groupes armés qui se sont constitués dans le chaos ambiant profitent pour entretenir la terreur.
La Centrafrique a-t-elle su tirer les leçons de la crise ? L’Etat centrafricain a-t-il les moyens pour lancer le pays sur le chemin de la transformation ? Les derniers événements prédisposent à répondre par la négative. Dans plusieurs régions du pays en tout cas, et même dans la capitale, Bangui, la violence plane. Malgré la présence des troupes de la Minusca, les groupes rebelles s’enhardissent davantage. Les exactions commises sont même de nature à faire craindre une nouvelle escalade à large échelle. Face au péril qui guette la Centrafrique, cette semaine, Fatou Bensouda, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), a lancé un appel à la fin immédiate du bain de sang, en avertissant que les crimes de guerre seraient punis. Pendant ce temps, les Centrafricains eux-mêmes essayent de se mobiliser. Mercredi dernier, la plateforme des partis politiques et des syndicats a organisé à Bangui, une marche pacifique à travers les rues de la capitale pour dénoncer la montée des violences et soutenir le président Faustin Archange Touadéra et son gouvernement.
Quelles sont dès lors les perspectives pour le pays face à l’insécurité et la violence qui ne cessent d’augmenter ?  Faustin Archange Touadéra et son équipe ne semblent pas baisser les bras. Le président centrafricain, depuis son arrivée aux affaires, a multiplié voyages et contacts pour s’assurer tous les soutiens susceptibles de remettre son pays à flots. En effet, économiquement exsangue et socialement perturbée, la Centrafrique cherche encore sa voie. Des accords ont été signés récemment avec des pays voisins dont le Cameroun, pour bénéficier d’appuis multiformes dans de nombreux domaines. Il y a quelques jours un accord-cadre de partenariat a été signé entre le Rwanda et la RCA. Le modèle de sortie de crise et de développement du Rwanda intéresse particulièrement Bangui et les autorités veulent s’en inspirer pour ramener prospérité et sérénité dans le pays. Mais le chemin est encore long…

Plusieurs chantiers à consolider

Sécurité, restauration de l’autorité de l’Etat et relance économique demeurent des priorités.

Une situation sécuritaire toujours précaire
Les derniers actes de violence survenus il y a quelques jours et qui ont fait un nombre important de victimes dans les localités d’Alindao, de Bangassou et de Bria sont la preuve palpable que la sécurité demeure une question préoccupante. Comme pour défier et narguer le pouvoir en place et la communauté internationale, des groupes armés ont massacré et pillé des civils. Faisant fi des engagements pris vis-à-vis de la nation en 2015 lors du Forum de réconciliation, et en mars dernier lors de l’ouverture des pourparlers en vue du lancement du processus de Désarment-Démobilisation-Réconciliation (DDR). Malgré la mise en place d’une Cour pénale spéciale pour la Centrafrique et la désignation d’un procureur spécial chargé d’enquêter sur les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et les violations des droits de l’Homme, les milices continuent de dicter leur loi.  Faisant régner un climat de terreur sur l’ensemble du pays.
La restauration de l’autorité de l’Etat au petit trot
L’on peut se féliciter de la mise en place progressive des institutions depuis l’arrivée de Faustin Archange Touadéra aux affaires en février 2016. Le gouvernement dirigé par Mathieu Simplice Sérandji s’atèle au quotidien à l’amélioration des conditions de vie des populations. Tandis qu’une Assemblée nationale multicolore légifère et contrôle l’action du gouvernement. La Cour constitutionnelle, la Haute Cour de justice, le Conseil économique et social, le Haut Conseil de la communication sont déjà fonctionnels. Mais, il reste que l’Etat investisse réellement le terrain. Car, depuis la longue et douloureuse guerre civile, l’administration est inexistante dans certaines préfectures et communes du pays. Une situation qui laisse prospérer le sentiment de laissés-pour-compte dans l’esprit des populations abandonnées.
Une économie à relever
Selon une étude présentée par le Fonds monétaire international (FMI), en République centrafricaine, la majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage est très élevé. L'accès aux services d’éducation et de santé de base n'est pas assuré, il existe de très fortes inégalités et avec une espérance de vie à la naissance qui est la deuxième plus faible au monde. Selon le FMI, la balance des transactions courantes du Produit intérieur brut (PIB) était de -10% en 2016 contre -9,7% en 2017, tandis que l’année dernière le taux d’inflation était de 4,0% contre 3,5% cette année. Toujours selon cette institution, le PIB par habitant en 2016 était de 365 dollars US contre 402 dollars US en 2017.  D’après une répartition de l’activité économique par secteur établie par la Banque mondiale, en matière de croissance annuelle, l’agriculture vient en tête avec un taux de 3,5%, suivie par les services,  2,7% et l’industrie avec 1,3%. En termes de PIB, l’agriculture contribue à hauteur de 42,4%, à l’économie centrafricaine, suivie des services avec 41,2% et de l’industrie, 16,4. Le pays négocie toujours en vue d’une levée totale de l’embargo qui pèse sur ses diamants depuis l’éclatement de la crise en 2013.

  Martial Beti-Marace: « La restauration de l’autorité de l’Etat est en marche »

Ambassadeur de la République centrafricaine au Cameroun.

Avec le soutien de la communauté internationale et des bailleurs de fonds, la République centrafricaine est lancée dans sa reconstruction. Quel est l’état d’avancement de ce vaste chantier à ce jour?
La reconstruction d’un pays suppose la mobilisation de toutes les compétences. Lorsque vous faites allusion à la mobilisation des bailleurs de fonds au chevet de la République centrafricaine à travers des conférences, il faut comprendre que c’est un processus. Ce sont des déclarations et des intentions. Dans ce processus, il y a certaines organisations telles que la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et d’autres qui ont concrétisé leurs engagements. Elles se sont rendues sur place en République centrafricaine et le chef de l’Etat, Pr Faustin Archange Touadéra, les a amenées voir la réalité sur le terrain. Il y a des promesses de décaissement pour passer à la phase concrète. C’est un processus qui a été planifié par paliers. Chaque fois, on veille sur la volonté qui s’est toujours matérialisée. Comme le pays a été dévasté dans toutes ses composantes, les résultats seront difficiles dans un premier temps à être visibles. Mais, coûte, que coûte nous amorçons le processus.
Quatorze groupes armés se sont engagés dans le processus de Désarmement-Démobilisation-Réinsertion (DDR). Malheureusement, certains continuent à s’illustrer par le massacre des populations. Est-ce à dire que les uns et les autres n’étaient pas sincères dans leur engagegement?
Dans l’état actuel, il y a des principes fondateurs. Il y a la bonne foi, le respect de la parole donnée et la confiance mutuelle. Il ne suffit pas de prendre des engagements sans les respecter. On dit : « on lie les bœufs par les cornes et les hommes par leur parole ». Il faut nécessairement que toutes les parties prenantes au processus de reconstruction de la République centrafricaine aient le respect de la parole donnée et de l’engagement pris. C’est sur cette base qu’on doit se faire une confiance mutuelle. Mais s’il n’y a pas respect de la parole donnée, il y aura crise de confiance. Tout ce qui se passe en République centrafricaine est en grande partie dû à une crise de confiance. Il faut que nous ayons confiance en nos institutions que nous-mêmes avons librement mises en place. Il faut que nous ayons confiance en ceux qui incarnent ces institutions. Il faut que nous ayons confiance en nous-mêmes. A défaut, il y aura destruction et on ne pourra pas ramer dans le même sens. La bonne foi reste aussi un sacro-saint principe qu’il faut respecter. Beaucoup continuent toujours de croire que la raison et le bon sens vont triompher. Le président de la République, Pr Faustin Archange Touadéra et son équipe s’attèlent à ramener la situation à la normale. Pendant longtemps, nous avons assisté à la promotion des anti-valeurs. Il y a certains comportements anti-républicains. Ce n’est pas par un coup de baguette magique qu’on va régler la situation, mais par ces trois vertus que sont : la bonne foi, le respect de la parole donnée et la confiance mutuelle.
Le président Faustin Archange Touadéra avait annoncé, entre autres priorités, la restauration de l’autorité de l’Etat à travers le pays. Plus d’un an après,  ce projet tarde toujours à se matérialiser. A votre avis, ça coince à quel niveau?
Il faut comprendre que lorsqu’on parle de restauration de l’autorité de l’Etat, il y a le contenant et le contenu. Elle se situe à plusieurs niveaux. Il y a la légalité constitutionnelle.  Le peuple centrafricain, après le coup d’Etat, a été exclu au plan international et a adopté à une large majorité sa Constitution. Celle-ci est le fondement de la loi suprême de la nation,  premier pilier de la restauration de l’autorité de l’Etat. Le président de la République a mis en place toutes les institutions prévues par la Constitution. L’Assemblée nationale est fonctionnelle, le gouvernement, la Cour constitutionnelle, la Haute Cour de justice, le Conseil économique et social, le Haut conseil de la communication ont été mis en place. C’est là le fondement juridique et institutionnel de l’Etat. Il y a les structures administratives, les préfectures et le tissu social qui ont...

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