Nationalisme, populisme, protectionnisme: Jusqu'où?

L’éclairage de Christian Pout, PHD, président du Centre africain d’études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques CEIDES).

Le monde nouveau sera-t-il meilleur que l'ancien? Question majeure du chef de l'Etat camerounais Paul Biya, dans son discours en réponse aux vœux du corps diplomatique, le 9 janvier 2019 au Palais de l'Unité à Yaoundé. Indubitable ment, il faut pouvoir lire l'avenir dans une boule de cristal pour apporter aujourd'hui une réponse à cette interrogation présidentielle. En attendant, le chef de l'Etat constate les tendances lourdes qui se manifestent sur la scène internationale.

Il observe que dans la période la plus récente, des tendances nationalistes ont ressurgi un peu partout dans le monde. Elles étaient porteuses, d'après son analyse, d'une double contestation: celle du multilatéralisme incarné par l'ONU, accusé notamment de sacrifier les intérêts nationaux au bénéfice des causes prétendument «discutables» comme la lutte conte le réchauffement climatique; et celle aussi de la mondialisation à qui il est reproché d'avoir favorisé les délocalisations et le dumping et par là même, d'avoir dégradé le patrimoine industriel de certains pays.

Le regain de nationalisme s'est accompagné de mesures protectionnistes, suivies de négociations ou de me sures de rétorsion. Et s'il est, pour le moment, exagéré de parler de «guerre commerciale », ajoute Paul Biya, on peut toutefois craindre, poursuit-il, que cette tendance ne s'étende au niveau mondial. Avec des conséquences imaginables, dans cette hypothèse, sur des échanges qui se contracteraient.

Une situation qui ne ferait pas du bien aux pays en développement dont les économies sont très dépendantes de l'extérieur. Au stade actuel de l'analyse, le chef de l'Etat estime que la montée du nationalisme et du populisme, qui a déjà abouti à l'arrivée au pou voir en Europe ainsi qu'en Amérique du Nord et du Sud des partis se réclamant de ces idéologies, « ne sera pas sans conséquences sur l'équilibre des forces sur la planète ».

Pour aller plus loin dans la compréhension des enjeux que charrient ces phénomènes susceptibles d'entraîner une reconfiguration du paysage international, CT a posé quelques questions au Dr Christian Pout qui préside le Centre africain d'études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques (CEIDES).

Dans son discours en réponse aux vœux du corps diplomatique le 9 janvier 2019 à Yaoundé, le chef de l’Etat Paul Biya déclare que la montée du nationalisme et du populisme a sensiblement modifié le climat des relations internationales. Pourquoi, selon vous, insiste-t-il une fois de plus sur ces deux notions ?

Le discours prononcé par le chef de l’Etat en réponse au message du doyen du Corps diplomatique est généralement l’occasion pour lui d’évoquer, à grands traits, sa lecture de la vie internationale, sa perception des menaces et défis mais aussi des opportunités. Dans l’exercice auquel il s’est livré dans ce cadre le 09 janvier, il a particulièrement mis le doigt sur le double spectre du nationalisme et du populisme apparus au 18e siècle et qui hantent indubitablement les relations internationales aujourd’hui. Il faut d’abord reconnaître que les racines de ces deux idéologies douteuses proviennent paradoxalement de termes très nobles à savoir « nation » et « peuple ». Décortiquer d’un point de vue théorique le nationalisme et le populisme dans le cadre de cette interview serait fastidieux et, de toute manière, ces notions sont réfractaires à une définition univoque. Je pense qu’on peut saisir le fait que l’attention du président Paul Biya ait été retenue par elles en raison de ce que par leur caractère polysémique et même contradictoire, elles sont devenues à la faveur des manipulations du discours politique à l’échelle infra-nationale, nationale et internationale, des facteurs et ferments de division, de repli sur soi, de stigmatisation négative, d’exclusion, de rejet, de régression et donc, de menaces et atteintes à la cohésion, à la coopération bilatérale et multilatérale,
au vivre-ensemble, au progrès.

« Les cadres de régulation traditionnels sont affaiblis » 

Dans le contexte actuel de la mondialisation, le nationalisme, le populisme et le protectionnisme peuvent-ils prendre plus d’ampleur cette année ?

Il faut d’abord reconnaître que ces trois notions doivent toujours être examinées en rapport étroit avec les contextes précis dans lesquels elles émergent et avec une attention particulière à qui les convoque et pourquoi. Ainsi, elles peuvent être péjoratives pour les uns et totalement assumées pour les autres. Cette déroutante ambivalence et ce relativisme trompeur viennent remettre en cause les équilibres  progressivement construits dans le cadre d’une invention évolutive d’un système multilatéral  certes perfectible, mais qui a le mérite d’avoir pu préserver la paix mondiale et maintenir à un niveau acceptable les inévitables malentendus inhérents à la diversité des acteurs internationaux et à l’antagonisme de leurs intérêts.  Ils favorisent dangereusement la perversion des valeurs consacrées de façon pluridécadaire par le droit international et encouragent l’apparition des égoïsmes de toutes sortes. En effet, quand des acteurs dominants du système international mobilisent clairement des stratégies de tension pour faire prévaloir leur vision du monde et obtenir des positions avantageuses dans le commerce international, il est opportun de redouter une amplification du nationalisme, du populisme et du protectionnisme. Ce d’autant plus que les cadres de régulation traditionnels sont affaiblis, contestés, délaissés et que la désintermédiation progresse. 

Les pays en voie de dévelop pement doivent-ils s’inquiéter de la montée en puissance de ces idéologies à l’heure de l’interdépendance des économies ?

Il est évident que pour les pays en voie de développement comme le Cameroun, un système international où progresse la dérégulation serait essentiellement porteur de menaces multiformes tant sur le plan financier, économique, com...

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