« Le non rapatriement nous prive de centaines de milliards de F »

Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale.

Monsieur le gouverneur, en 2019, de nouvelles dispositions de la règlementation des changes sont entrées en vigueur, dont celles amenant les entreprises du secteur extractif à respecter certaines obligations, dont la domiciliation des exportations, la non-détention des comptes en devises on-shore et off-shore et le rapatriement des recettes d’exportation. Où en est-on avec leur mise en œuvre à ce jour ? 
Je vous remercie pour cet entretien qui tombe à point nommé et me donne l’occasion d’apporter des précisions sur les dispositions et la mise en œuvre de la nouvelle réglementation des changes qui connaitra une évolution significative à compter du 1er janvier 2022. De fait, le nouveau corpus réglementaire entré en vigueur en 2019, qui abroge le règlement de 2000, prescrivait un délai de six mois de mise en conformité avec les nouvelles dispositions de la réglementation des changes à tous les agents économiques de la CEMAC. Ce délai leur permettait notamment d’entamer toutes les démarches nécessaires auprès de la BEAC afin de régulariser leurs comptes en devises ouverts tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la CEMAC. Ces derniers sont désormais soumis à une autorisation préalable de la BEAC conformément aux nouvelles dispositions. Or, il faut l’admettre, rares sont les entreprises pétrolières et minières qui ont entamé une quelconque démarche de régularisation. Malgré cet état de fait, la BEAC n’a eu de cesse de sensibiliser ces agents économiques aux dispositions de change communautaires. Dans ce cadre, deux moratoires successifs ont été accordés à ces entreprises depuis 2019 afin d’échanger concrètement sur toutes les spécificités liées aux opérations de leur secteur et de permettre à la BEAC de mettre en place un dispositif leur permettant d’opérer dans le respect de la règlementation des changes. Des souplesses et facilités ont ainsi été apportées par la BEAC et ce dispositif sera donc applicable aux entreprises du secteur extractif à compter du 1er janvier 2022.

Il y a quelques semaines, à Washington, vous avez rappelé à ces entreprises la date butoir du 31 décembre 2021 pour définitivement se mettre en règle. Avez-vous l’impression que cet ultimatum a eu l’effet escompté ? 
Comme souligné précédemment, la BEAC s’est toujours employée à communiquer et sensibiliser les parties prenantes sur les nouvelles dispositions de la réglementation des changes, et ce depuis 2019. Cette attitude a grandement contribué à créer un canal d’échanges avec les entreprises des secteurs pétroliers et miniers de la CEMAC permettant la mise sur pied d’un dispositif d’application de la réglementation des changes adéquat pour ces entreprises et dans le respect des intérêts de la Sous-région. La date butoir fixée ne doit pas être prise comme un ultimatum mais plutôt comme l’aboutissement normal de toutes les discussions et procédures entamées depuis deux ans. Les entreprises du secteur extractif ont également fait preuve d’ouverture après avoir compris l’intérêt de cette réglementation pour nos pays et pour leurs affaires. 
En tout état de cause, les chefs d’Etat de la CEMAC ont rappelé, lors du Sommet extraordinaire du 18 août 2021 à Yaoundé, leur volonté de faire appliquer la réglementation des changes à tous les secteurs d’activités à compter du 1er janvier 2022 afin de disposer d’un instrument de politique de change compatible avec notre régime monétaire. Aussi, il est de bon ton que ce secteur, qui est de loin le pourvoyeur de devises de notre sous-région, participe à sa juste mesure à la consolidation de notre équilibre extérieur et à accroitre la marge de financement de nos économies, sans remettre en cause leur capacité de développement dans notre espace communautaire.

Quel est l’impact du non-respect de la règlementation des changes sur  l’économie de la CEMAC ? Qu’est-ce que la BEAC et les Etats ont perdu entre 2019 et aujourd’hui ? 
Comme pour tous les textes de cette ampleur, le non-respect de la réglementation des changes a un réel impact sur nos économies qui, je le rappelle, sont largement extraverties. En effet, aujourd’hui, pour 100 FCFA dépensés par un concitoyen de la CEMAC, 60 FCFA servent à acheter des produits de consommation importés de l’étranger, principalement des produits alimentaires, des biens de consommation, mais également des médicaments et autres biens et services. Cela souligne toute l’importance pour notre sous-région d’une contribution optimale de toutes les entreprises génératrices de devises à la consolidation de nos réserves de changes. Cela permet non seulement d’accroitre la capacité de financement de notre système bancaire, mais aussi de créer un effet d’entrainement au niveau du secteur productif local. Il en va ainsi du développement économique et social de nos Etats, car le non rapatriement des devises par les sociétés pétrolières et minières nous prive de centaines de milliards de francs, des ressources indispensables à l’irrigation de nos économies. Il est donc difficile de faire abstraction de la précieuse contribution de ce secteur si nous voulons assurer durablement la stabilité extérieure de notre monnaie au service de la croissance et du développement de la CEMAC et de préserver le régime de change fixe du franc CFA et, par ricochet, le pouvoir d’achat de ceux qui utilisent cette monnaie.

De quels moyens contraignants dispose la Banque centrale vis-à-vis des contrevenants ? 
La réglementation des changes prévoit un ensemble de mesures, de sanctions administratives et pécuniaires, qui peuvent être utilisées en cas d’infractions avérées. Ces sanctions vont d’une simple amende à l’exclusion d’un agent économique du marché des devises. De même, tout assujetti à la réglementation des changes l’est ipso facto au règlement sur la lutte contre le blanchiment des capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération (LCB/FTP) qui prévoit un protocole de signalement aux Agences nationales d...

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