« Un débat sur l’esclavage est nécessaire »

Pr Daniel Abwa, historien.

Dans une série de tweets publiés le 9 août dernier, le président ghanéen Nana Akufo-Addo, plaide pour l’ouverture d’un véritable débat sur les réparations des crimes commis en Afrique par l’esclavage. Comment réagissez-vous à cet appel ?
Le président ghanéen fait bien d'appeler à « l'ouverture d'un véritable débat sur les réparations des crimes commis en Afrique par l'esclavage ». Il faut cependant qu'il précise pourquoi maintenant et avec qui ce débat. Il est bon de savoir que la traite négrière, encore appelée commerce triangulaire, commencée au 15e siècle, à l'initiative des Européens, n'a pris officiellement fin qu'au début du 19e siècle à la faveur de la révolution industrielle. Ce n'est un secret pour personne que les Européens ont appréhendé la nécessité de mettre un terme à ce commerce honteux parce que la révolution industrielle avait mis à leur disposition des machines leur permettant une plus grande productivité agricole et industrielle à travers l'énergie mécanique qui remplaçait valablement sinon mieux l'énergie animale produite gratuitement par les esclaves. D'ailleurs, le sud des Etats-Unis qui n'était pas encore habitué à cette énergie mécanique a montré toute son hostilité à cette abolition de l'esclavage et n'a pas hésité d'entreprendre une guerre de sécession contre le nord des Etats-Unis déjà industrialisé. Il a fallu sa défaite face à une armée du nord sous la conduite d'Abraham Lincoln pour que cette partie des Etats-Unis accepte, du bout des lèvres, l'idée de cette abolition.
L'Afrique, victime de cet esclavage qui a duré quatre siècles, peut justifier son silence par la colonisation qu'elle a subie entre le 19e et le début du 21e siècle. Est-ce parce qu'elle se sait suffisamment indépendante maintenant qu'elle veut engager ce débat que prône le président Nana Akuko-Addo ? Accordons-lui le bénéfice du doute. Mais avec qui ce débat ? La traite négrière a mis aux prises L'Europe, l'Amérique et l'Afrique. Les deux premières ont déjà clos ce débat. L'Europe, dès le 19e siècle, avait trouvé la formule pour apaiser le courroux des propriétaires des esclaves qui s'estiment spoliés par cette abolition. Chacun d'eux a été indemnisé, rubis sur ongle pour la perte de chacun de ses esclaves. Pour ces esclavagistes, le débat est ainsi clos et il a fallu attendre l'intervention d'une autorité religieuse, un pape catholique en l'occurrence, pour que l'Europe entende à nouveau parler de cette question de l'esclavage des Africains. Pour l'Amérique et principalement les Etats-Unis, les Africains-Américains, jadis esclaves, ont revendiqué avec vigueur et persévérance leurs droits civiques au point où ils ont obtenu la fin de la ségrégation raciale qui leur avait été imposée au lendemain de la guerre de sécession. Ils ont tant et si bien réussi la revendication de leurs droits civiques que l'un des leurs, Barack Obama -un nom de connotation africaine - a, pendant 8 ans (deux mandats) été président des Etats-Unis. Il reste l'Afrique. Avec qui va-t-elle donc engager ce débat ? 
Tout en évoquant la concurrence des mémoires, en citant en exemple les survivants de la Shoah et des Amérindiens qui ont tous reçu réparations, Nana Akufo-Addo souhaite une reconnaissance de cette tragédie et des excuses de la part de l’Europe à l’endroit de l’Afrique.  

Pensez-vous qu’un tel plaidoyer puisse prospérer ?
Le président ghanéen a raison de citer en exemple « les survivants de la Shoah et des Amérindiens qui ont tous reçu réparations » car, ils ont réussi à donner mauvaise conscience à leurs bourreaux. Pour ce qui est des survivants de la Shoah, il suffit de visiter le mausolée juif de la Deuxième Guerre mondiale que j'ai eu à visiter aux Etats-Unis. Il y est décrit avec force détails les atrocités subies par les juifs de la part des nazis et chaque visiteur qui en sort à des larmes aux yeux en se disant : ces juifs méritent bien réparation. Est-ce la même chose pour l...

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