« L’Afrique est devenue une priorité essentielle »

Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, président du Think Tank CEIDES, directeur du séminaire de géopolitique africaine, Catholic Institute of Paris.

Depuis 2022, l’Afrique est visitée par nombre d’officiels américains de premier plan. Quels peuvent être les dessous de cet important ballet diplomatique ? 
L’intense déploiement des hauts responsables américains en Afrique prouve s’il en était encore besoin que les Etats-Unis s’attèlent à joindre les actes à la parole en menant des actions qui démontrent que l’Afrique est (re)devenue une priorité essentielle de la politique étrangère américaine. Au-delà du discours officiel qui justifie ces visites par un souci de « renforcer le partenariat avec l'Afrique et de faire progresser les efforts communs en matière de sécurité et de prospérité économique », il faut dire que c’est l’influence grandissante de l’Afrique sur la scène internationale, et aussi, le grand intérêt que lui portent des puissances concurrentes comme la Chine et la Russie, qui explique ce regain d’activités. De l’aveu même des autorités américaines, « l’Afrique (…) est une force géopolitique majeure, qui a façonné notre passé, façonne notre présent et façonnera notre avenir ». Il est donc tout à fait compréhensible qu’une grande puissance comme les Etats-Unis se positionne pour capter toutes les opportunités qui peuvent découler d’un partenariat privilégié avec des pays africains forts, riches et dont les voix comptent au sein des instances internationales. Les axes de ce positionnement américain ont été énoncés en août 2022 dans le « U.S. Strategy toward Sub-Saharan Africa », qui retenait quatre objectifs stratégiques entre autres : favoriser les sociétés ouvertes ; offrir des dividendes démocratiques et en matière de sécurité ; travailler au redressement après la pandémie et sur les opportunités économiques ; soutenir la préservation et l'adaptation au climat et une transition énergique juste. Par ailleurs, avec la tenue du U.S.-Africa Leaders Summit du 13 au 15 décembre 2022 à Washington, l’offensive américaine est montée d’un cran. 
L’hyperactivité américaine en Afrique ne s’éloigne pas des motivations traditionnelles d’accès aux ressources stratégiques. L’Afrique qui détient un peu plus de 30% des ressources minérales mondiales, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), demeure un enjeu majeur pour soutenir grâce à ses ressources (lithium, cobalt, nickel etc.), le développement des technologies d’énergie propre.

Washington cible comme priorités, la lutte contre l’insécurité et le développement des investissements. Quels pourraient être les critères de déploiement de ces investissements à travers le continent ? 
La paix est une condition préalable au développement, et donc aux investissements et à leur rentabilité. De mon point de vue, l’implication active des Etats-Unis aux côtés des Etats dans la lutte contre l’insécurité reste acceptable au regard de la multiplication des zones de conflit et réseaux criminels, ainsi que des impacts de ceux-ci sur les pays partenaires et l’Afrique toute entière. C’est d’ailleurs un objectif phare de la Stratégie américaine en Afrique. A cet effet, l’administration Biden, s’est engagée à fournir plus de 6,5 milliards de dollars pour soutenir la paix, la sécurité et la gouvernance en Afrique. Cela suppose vraisemblablement un appui pour développer les capacités militaires des partenaires africains, soutenir les opérations de maintien de la paix, les transitions démocratiques et les institutions. Concernant les options d’investissement, la logique dualiste reste de rigueur dans les relations de coopération américaines. Le package offert comprend donc aussi bien l’allocation de financements dédiés à des secteurs et/ou thématiques spécifiques, et une mise en commun d’entreprises américano-africaines, le tout favorisé par la signature d’accords bilatéraux ou multilatéraux en matière de commerce et d’investissement. Le modèle de coopération ainsi adopté a été réitéré lors du sommet des affaires Etats-Unis – Afrique qui s’est tenu à Marrakech (Maroc) en juillet 2022, et en particulier durant le U.S.-Africa Leaders Summit de décembre 2022. A ce dernier événement, plusieurs engagements financiers ont été souscrits par l’administration Biden dont : 55 milliards de dollars d’investissements au cours des trois prochaines années « pour soutenir l’économie, la santé et la sécurité de l’Afrique », 350 millions de dollars pour l’initiative « Digital Transformation with Africa » (DTA) , 10 millions de dollars de financements pour la « Health Electrification and Télécommunication Alliance », ainsi que 2,5 milliards de dollars d’assistance humanitaire dont une bonne partie serait affectée à la lutte contre l’insécurité alimentaire. En tout état de cause, le gouvernement américain continuera à directement financer des projets en Afrique, tels que le partenariat pour les infrastructures et les investissements mondiaux (PGII), Prosper Africa, Power Africa, etc, ainsi qu’à encourager les entreprises américaines à nouer d’étroites relations avec des entreprises africaines innovantes. C’est dans cette logique que depuis 2021, il a facilité la conclusion de plus de 800 accords commerciaux et d’investissement bilatéraux dans 47 pays africains pour une valeur totale estimée à plus de 18 milliards de dollars, et que le secteur privé américain a conclu des accords d’investissement en Afrique d’une valeur de 8,6 milliards de dollars.

Quels pourront être les pays bénéficiaires de cet appui des Etats-Unis surtout quand on sait que le choix des pays visités ne s’est pas fait au hasard ?
Au cours du U.S.-Africa Leaders Summit, le président Biden a affirmé devant les chefs d'État et de gouvernement des 49 pays africains représentés que « nous allons tous aller vous voir et vous allez tous nous voir beaucoup ». Pour ma part, ces propos illustraient en réalité la projection globale qui est celle des Etats-Unis en Afrique. Il ne fait pas de doute que la stratégie retenue est celle d’une influence tous azimuts à travers un déploiement diplomatique et économique dans toutes les régions africaines. Cependant, si l’on s’en tient à la cartographie des visites des hauts responsables américains en terre africaine, on voit bien qu’il y’a des constantes, un intérêt prononcé pour la Corne de l’Afrique et le Sahel. Cela est aussi visible à travers la participation de certains pays aux grands sommets sur le sol américain, à l’exemple du plus récent, le sommet pour la démocratie qui a eu lieu du 28 au 30 mars 2023. Le choix de ces régions est à mettre en relief avec les priorités américaines en Afrique. Pour la Corne de l’Afrique, il est surtout question pour les Etats-Unis de jouer un rôle décisif dans le règlement des conflits, et ensuite, de s’impliquer pour résoudre les graves problèmes liés à l’insécurité alimentaire qui fait des ravages. Dans le Sahel, les défis sécuritaires et démocratiques restent de taille dans la plupart des pays. L’extrémisme violent et le terrorisme se propagent rapidement, e...

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