Matières premières : le bonheur est dans la transformation locale

L’inauguration, le 21 juillet 2023 à San Pedro en Côte d'Ivoire, d’une nouvelle usine de transformation de cacao, a montré la voie à suivre pour tous ceux qui disposent de nombreuses matières premières, mais qui peinent à sortir du cercle vicieux de la pauvreté. Pourquoi ce paradoxe ? Parce que les ressources agricoles et minières du continent africain, au lieu d’être transformées sur place en produits finis à haute valeur ajoutée, sont plutôt, pour l’essentiel, exportées à l’état brut vers les pays industrialisés. Ces derniers transforment ensuite ces matières premières achetées pratiquement à vil prix et revendent les produits finis beaucoup plus cher à l’Afrique.  Ce faisant, les pays industrialisés gagnent des sommes colossales pendant que les paysans africains ne reçoivent que la portion congrue de la plus-value réalisée grâce au savoir-faire des entreprises occidentales.
En s’engageant sur le chemin salutaire de la transformation locale de ses fèves de cacao, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial (environ 2 200 000 tonnes par an), a décidé de mettre un terme à ce que d’aucuns appellent à juste titre la « malédiction des matières premières ». Le pays ayant compris que la culture et l’exportation de fèves sont des activités à faible marge et volatiles. Les statistiques parlent d’elles-mêmes et montrent à quel point le système mis en place depuis l’époque coloniale est inique. À l'échelle mondiale en effet, le marché mondial du cacao et l'industrie chocolatière génèrent environ 130 milliards de dollars US, mais seulement 6% de ce pactole reviennent aux pays producteurs de cacao et 2% aux paysans qui pourtant se tuent chaque jour à la tâche. Dans un rapport publié en mai dernier, l’Ong Oxfam dénonce notamment les sociétés américaines Hershey et Mondelez, ainsi que les suisses Lindt et Nestlé, qui « ont réalisé ensemble près de 15 milliards de dollars de bénéfices grâce à leurs seules divisions de confiserie depuis le début de la pandémie (du Covid-19), en hausse de 16% en moyenne depuis 2020 ». Oxfam relève aussi que les fortunes des familles Mars et Ferrero, qui possèdent les géants chocolatiers du même nom, se sont envolées de plusieurs dizaines de milliards de dollars depuis 2020, selon le classement de Forbes.
Pour changer la donne dans ce marché verrouillé par les grands industriels, les producteurs de fèves doivent être capables de créer un rapport de forces afin de contraindre les multinationales du chocolat à mieux rémunérer les planteurs. La manœuvre n’est guère aisée. On se souvient que l’an dernier, le Ghana et la Côte d'Ivoire qui représentent à eux deux plus de 60% de la production mondiale de fèves de cacao, avaient engagé un bras de fer avec les industriels du chocolat en leur demandant de payer une prime de 400 dollars par tonne associée à la qualité et à la disponibilité du produit (différentiel de revenu décent), en plus du cours du cacao coté à l’international à un peu plus de 2400 dollars la tonne. Malgré cette sortie, les industriels, négociants et distributeurs gardent toujours la haute main sur la filière du chocolat et le prix payé aux producteurs. Si tous les acteurs sont d’accord sur la nécessité de mieux rémunérer les paysans, impossible pour l’heure d’obtenir un consensus sur la manière de procéder. Le tout, dans un contexte d’inflation et de montée des coûts de production de la fève, alors que le prix du cacao tout comme celui du café stagne globalement depuis une dizaine d’années. Conséquence, en Côte d'Ivoire, plus de la moitié des planteurs vivent sous le seuil de pauvreté, selon une étude de la Banque mondiale. La situation est comparable au Ghana (environ un million de tonnes) où quelque 800 000 familles vivent du cacao mais jusqu'à 90% des producteurs ne gagnent pas assez pour se permettre suffisamment de nourriture.
Pour toutes ces raisons, le continent africain, de loin le plus grand producteur de fèves, doit cesser d’approvisionner un marché de dupes en mettant résolument le cap sur la transformation locale afin de créer sur place des richesses et des emplois. Ainsi, le chocolat et le beurre de cacao entre autres, qui sortiront de nos usines, pourront aussi être exportés vers les marchés mondiaux à des prix plus rémunérateurs que celui auquel le kilogramme de cacao est vendu.
On comprend donc pourquoi la Côte d’Ivoire met en œuvre une stratégie afin d’être présente à toutes les étapes de la chaîne de valeur du cacao. La dernière-née de ses unités de transformation pourra à terme broyer 240 000 tonnes de fèves par an. Selon le ministre ivoirien du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME, Souleymane Diarrassouba, l’objectif du gouvernement est de transformer, à moyen terme, au moins 50% de la production nationale de cacao, soit environ 1 100 000 tonnes de fèves. Pour l’heure, a-t-il révélé, la capacité de broyage de la Côte d’Ivoire est passée de 730 000 tonnes en 2017 à 972 040 tonnes en 2022 et devrait atteindre 1 176 000 tonnes dans les deux prochaines années, grâce &...

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