Réformes économiques, conjoncture en Afrique centrale : les éclairages du gouverneur de la BEAC

Au cours de la 9e édition du Rebranding Africa Forum (RAF) qui s’est tenue du 20 au 21 octobre dernier à Bruxelles sur le thème : « Les systèmes financiers africains en mutation, concilier authenticité et modernité : les chemins de l'inclusion financière », Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) a réaffirmé l’ambition de l’institution qu’il dirige depuis 2017 à savoir poursuivre sa marche en avant et se moderniser. Selon lui, la BEAC a notamment le devoir de créer un environnement favorable à l’inclusion financière en mettant en place des mécanismes pour faciliter les échanges entre les systèmes bancaires et les nouvelles technologies. Et en marge du RAF, le gouverneur de la BEAC s’est confié à CT sur la situation économique de la sous-région et sur son action à la tête de la BEAC alors qu’il s’apprête à passer la main en janvier 2024. 

 

Monsieur le gouverneur, vous arrivez très prochainement au terme de votre mandat à la tête de la BEAC. Que doit-on retenir de votre passage ? 
J’ai pris fonction à la Banque centrale en 2017, au lendemain d’une situation qui était très compliquée au plan économique. En 2016, nous avons eu la crise des cours des matières premières et particulièrement du pétrole, avec la croissance qui avait baissé entre 2014 et 2016. On est ainsi passé de 4 % de croissance à une récession de l’ordre de moins 1,4 %. Par ailleurs, nos réserves de change étaient en pleine déperdition. Nous avions perdu à peu près 60 % et on était menacé par le spectre de la dévaluation. C’est dans cette conjoncture que le président camerounais, son Excellence Paul Biya a eu la lumineuse idée de réunir ses pairs de l’Afrique centrale pour enrayer cette situation et éloigner le spectre de la dévaluation. Ma prise de service a donc coïncidé avec ce contexte, au plan économique très morose avec un environnement macroéconomique très fragilisé. Sitôt arrivé, nous avons mis en place un plan stratégique en ce qui concerne les politiques monétaires et le secteur financier. Notre plan est exécuté à plus de 95 % alors que l’année n’est pas encore terminée. Nous espérons atteindre un taux d’exécution qui va au-delà de celui précédemment indiqué.


Concrètement, qu’est-ce qui a été fait ?
Pour la soutenabilité extérieure de notre monnaie, nous avions 1000 milliards en compte d’opération, aujourd’hui nous sommes à 7000 milliards d’euros avec un taux de couverture qui avoisine les 80 %. Nous avons mis en place une batterie de réformes, la réforme du cadre institutionnel stratégique opérationnel de la politique monétaire avec de nouveaux instruments de politique monétaire qui ont permis une meilleure retransmission de notre politique monétaire au secteur réel. Nous avons revu la gouvernance de la Banque centrale avec une réforme des statuts. Nous avons obtenu le mandat de fusionner les sociétés de bourses, la Douala Stock Exchange et la BVMAC qui étaient des sociétés très peu performantes et qui vivaient des subventions des Etats. L’intégration totale de ces structures de marché s’est stabilisée, avec la Banque centrale dans le rôle de dépositaire central et la Cosumaf qui continue à garder son rôle de régulateur de marché. Dans les faits, la société de bourse est désormais établie à Douala. Et c’est la bourse communautaire. Actuellement, nous avons à peu près 2000 milliards de capitalisation aussi bien dans le compartiment obligataire que des actions. Nous travaillons pour l’intégration en bourse de plusieurs entreprises au niveau des Etats-membres. Au Cameroun et en Guinée Equatoriale, des banques ont déjà pu lever des financements au niveau de la bourse. Cette dernière est performante et on est à des étapes d’approfondissement. Nos autres actions portent sur la préparation de textes législatifs visant à harmoniser les pratiques de fiscalité au niveau des Etats-membres, un investissement sur les plateformes de la bourse et éventuellement un renforcement des capacités. Nous avons en outre interdit le financement aux Etats.

En parlant justement des Etats, quels sont leurs rapports avec la banque ?
Quand nous sommes arrivés, nous avions un encours de 3000 milliards de francs CFA que les Etats devaient à la Banque centrale et qui n’avait pas été remboursé. Nous avons étalé cette dette au choix sur 10, 20, 30 ans et les accords ont été signés avec les différents pays. Désormais, les paiements sont automatisés et à terme échu, on débite les comptes. Pour le financement des Etats, nous avons renforcé notre marché des titres publics qui étaient en 2016 à 900 milliards francs CFA d’encours. Il est maintenant à 6000 milliards d’encours. Depuis 4 à 5 ans, nous n’avons pas connu de défaut sur ce marché et les Etats viennent s’y refinancer. C’est quelque chose dont il faut se féliciter parce que notre propre épargne est recyclée pour financer notre zone. Cela réduit l’endettement extérieur.

Quelles actions sont-elles au bénéfice direct des populations ?
Au niveau de la Banque, nous avons essayé de mettre en place des plateformes d’interopérabilité. Par le passé, les citoyens de la Cemac pour faire des transferts à l’intérieur de la sous-région étaient obligés de passer par des sociétés de paiement comme Western Union ou Moneygram, etc. Aujourd’hui, avec les paiements mobiles et grâce à l’interopérabilité, quel que soit le pays de votre résidence, vous pouvez envoyer sur votre téléphone de l’argent. En 2018, on était à 18 millions de comptes, on est actuellement à 37 millions de comptes mobiles. Et nous visons l’inclusion financière à l’horizon 2030. A peu près 75 % de la population, grâce aux moyens technologiques peuvent avoir accès à ce niveau d’inclusion financière.  Il y a également eu des évolutions normatives fulgurantes au niveau de la Commission bancaire pour la stabilité et la rénovation de notre secteur financier. Les résultats sont palpables avec un secteur financier résilient nonobstant les crises que nous avons traversées : la crise des matières premières, la pandémie de la Covid-19 avec ses corollaires sur l’économie mondiale par exemple. Les innovations à ce niveau, c’est essentiellement la supervision sur base consolidée, la rénovation du texte qui encadre les activités de la microfinance dans la zone et de la finance islamique. Nous avons aussi un texte qui porte sur les sociétés de paiement. Naguère, c’était les banques qui utilisaient les technologies pour faire ce travail. Aujourd’hui, on a toute une catégorie d’acteurs qui travaillent dans un environnement régulé.

Malgré cette embellie relative que vous présentez, les économies de la sous-région ont connu des soubresauts à répétition. Quelles sont les mesures qui ont été prises très concrètement par la Banque centrale pour promouvoir et garantir la stabilité financière de la sous-région ?
Tout passe par la stabilité de la monnaie. Tout a été fait pour que dans un contexte de faible croissance, voire de récession – ce qui a été le cas entre 2014 et 2016 au niveau de la Cemac –qu’on évite aux citoyens la dévaluation. C’est-à-dire une perte du pouvoir d’achat. En sus de ce que nous avions déjà des problèmes de croissance, il fallait éviter ça. C’est l’objectif des réformes que nous avons engagées. Quand les prix renchérissent sur le marché et que votre salaire n’augmente pas, c’est que vous perdez du pouvoir d’achat. Donc il fallait absolument éviter cela. Quand on a interdit les financements monétaires en essayant de recycler notre propre épargne, c’était pour éviter cet embarras. De manière imagée, quand il y a trop d’argent dans l’économie, c’est comme si vous souffrez du diabète. Face à cette maladie, le reflexe c’est de réduire le taux de sucre dans le sang. L’inflation peut s’assimiler à cela. Ce que nous avons fait, c’est d’utiliser notre propre épargne, de mettre en place la r...

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