Face à la presse : Biya et Macron sans détour

Après le tête-à-tête d’hier au Palais de l’Unité, les présidents camerounais et français ont répondu à des questions des médias. CT livre l’intégralité des réponses des deux chefs d’Etat.

Yves Marc Medjo (CRTV Poste national) à Emmanuel Macron :
M. le président, les Africains, et particulièrement les Camerounais, sont témoins des concours financiers et de la qualité des matériels militaires que l’Occident apporte à l’Ukraine en guerre. Lorsque l’on sait que les pays africains, en difficulté économique ou même en conflit ont du mal à recevoir pareille bienveillance, comment assumez-vous ces deux poids, deux mesures ?
D’abord, je lis beaucoup d’approximations sur ce qui se passe en Ukraine et je ne ferai pas de comparaison excessive. En Ukraine, vous avez un pays souverain dont l’intégrité territoriale a été violée par une agression unilatérale d’un pays voisin, la Russie. C’est comme ça qu’il faut le qualifier. C’est une guerre lancée par la Russie. Les règles qui sont les nôtres, la Charte des Nations unies, les textes que nous avons signés et que la Russie a d’ailleurs signés en tant que membre de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Ndlr), font qu’elle a violé à peu près tous ses engagements internationaux. Le choix qui a été fait par les Européens n’est en aucun cas de participer à cette guerre, mais de la reconnaitre et de la nommer. Là où je vois trop souvent de l’hypocrisie, en particulier sur le continent africain, à ne pas savoir qualifier une guerre qui en est une et à ne pas savoir dire qui l’a lancé, parce qu’il y a des pressions diplomatiques. Nous, nous avons décidé de tout faire pour stopper cette guerre comme l’a dit le président Paul Biya et je vous rappelle que moi-même je suis allé en Russie et en Ukraine pour essayer de tout faire pour la stopper sans participer. 
Ce faisant, que font les Européens ? Ils sanctionnent la Russie pour bloquer son effort de guerre et dans tous les cénacles internationaux et l’isoler diplomatiquement. C’est là où nous avons besoin de vous, sinon ce schéma se reproduira à l’envie. Ce n’est pas l’ordre international que nous voulons. C’est plutôt celui qui repose sur la coopération et le respect de la souveraineté de chacun. Et enfin, nous aidons l’Ukraine à résister : aides économiques et financières, aides comprenant les réfugiés, aides militaires en livrant du matériel. C’est ça la situation, très précisément. Je ne vois pas sur le sol africain des pays qui soient dans une situation comparable. Etant agressés par une puissance voisine. Par contre, je vois des pays qui ont pu être déstabilisés par le terrorisme. Vous parlez à un chef d’Etat qui a l’honneur d’être à la tête d’un pays qui s’est engagé en Afrique, où nous n’avons pas seulement livré des armes. Nous avons envoyé des troupes à la demande d’un Etat souverain qui était le Mali et de l’organisation sous-régionale, la Cédéao, pour la défense de sa souveraineté nationale. Nous avons donc fait beaucoup plus que pour l’Ukraine. 
Je vous parle avec la gravité d’un chef d’Etat qui a eu à enterrer des soldats français parce qu’ils sont venus sur le sol africain défendre la souveraineté d’un Etat qui n’était pas le leur. Donc, s’il y a deux poids deux mesures, c’est dans le sens contraire à ce que vous avez évoqué. L’armée française, à la demande du Mali en 2013, est intervenue pour stopper les terroristes qui faisaient route vers Bamako. Puis, l’armée française, à la demande de l’Etat malien et de la Cedeao est restée pour protéger. Et si, aujourd’hui il n’y a pas un califat territorial au Mali, c’est parce qu’il y a eu l’armée française et que des dizaines de nos enfants sont morts sur le sol africain pour lutter contre le terrorisme. La France est le pays qui s’est le plus engagé pour des Etats africains à leur demande et pour leur sécurité. Par contre, nous le faisons dans un cadre clair, à la demande d’un Etat souverain, et pour lutter contre le terrorisme. Quand ce cadre n’a plus été rempli, après les deux coups d’Etat militaires au Mali et les choix de la junte, nous avons décidé de partir et de réorienter notre politique. Maintenant, nous avons des politiques de coopération militaire avec de nombreux pays africains, dont le Cameroun. Ceci passe par des livraisons, la formation, le partenariat. Et c’est sur cette route que nous continuons d’avancer et essayer de consolider le lien qui est le nôtre sur le plan militaire. 

Amélie Tulet (Radio France International) au président Paul Biya : 
Espérez-vous briguer un nouveau mandat en 2025 ou souhaitez-vous qu’une nouvelle génération porte les couleurs du RDPC à la prochaine présidentielle ?
Comme vous le savez, le Cameroun est dirigé conformément à sa Constitution. D’après cette Constitution, le mandat que je mène a une durée de sept ans. Alors, essayez de faire la soustraction. 7 moins 4 ou 3, et vous saurez combien de temps il me reste. Mais au-delà, ce sera su. Quand ce mandat arrivera à expiration, vous serez informée si je reste ou si je m’en vais au village. 

Georges Alain Boyomo (Mutations) au président Emmanuel Macron :
M. le président, au cours d’un évènement organisé en France et qui n’avait pas de lien avec la relation France-Cameroun, vous avez révélé le contenu de certaines de vos conversations avec votre homologue camerounais. Pensez-vous que ce soit la meilleure manière de donner votre opinion sur les droits de l’Homme et la démocratie au Cameroun, parfois sur un ton peu diplomatique ?
La diaspora camerounaise en France fait partie de la richesse de notre relation. Il se trouve qu’en cheminant au salon de l’agriculture, j’ai été interpellé et je n’allais pas ne pas répondre. Et j’ai répondu en disant la vérité. Je n’ai rien révélé du contenu. J’ai dit qu’on a des discussions très approfondies avec le président sur des situations individuelles et des situations que nous ne comprenons pas. Je pense que c’est ce que je dois à nos binationaux ou aux membres de la diaspora qui s’émeuvent de ces sujets et qui, à l’inverse, ne comprendraient pas une seule seconde que je passe de longues heures avec le président Biya, mais nous ne parlons pas des sujets qui fâchent. On parle de manière exigeante des sujets qui nous concernent et on essaye de trouver des solutions intelligentes qui sont respectueuses de la souveraineté de chacun, mais qui reposent sur la vérité. Je crois n’avoir révélé aucun secret dans cette réponse à une interpellation. 

Georges Alain Boyomo (Mutations) au président Emmanuel Macron :
Une amitié sincère comme celle qui existe entre le Cameroun et la France ne saurait s’encombrer de zones d’ombre ou alors de vérités mal dissimulées. Il se trouve que la guerre de libération qui a été menée au Cameroun a laissé des blessures et des souvenirs marqués par des exactions commises par l’armée française sur des Camerounais. Des décennies plus tard, est-ce que vous êtes en mesure de reconnaître ces atrocités et d’en assumer la responsabilité ?
Nous avons ce passé qui a des pages glorieuses, heureuses, de construction commune. Il a contribué à lier tant de destins. C’est une chance. Mais il a eu aussi des moments douloureux, tragiques. Des historiens se sont penchés sur ce passé. Ils nous disent qu’un conflit a eu lieu. Le mot guerre est employé, c’est aux historiens de faire la lumière sur le passé. Il faut continuer précisément à écrire cette histoire et à l’écrire ensemble. C’est pourquoi, ce que je souhaite, c’est que nous puissions avoir et lancer ensemble un travail conjoint d’historiens camerounais et français qui pourront ainsi avoir accès à la totalité de nos archives. Je prends ici l’engagement solennel d’ouvrir nos archives en totalité à ce groupe d’historiens conjoints qui nous permettront d’éclairer ce passé sur des situations individuelles, sur des épisodes que vous évoquez et pour qualifier très précisément l’implication de la France, le rôle aussi des autorités camerounaises de l’époque avant et après indépendance. Dans un contexte où les choses sont sans doute plus complexes et mêlées que vous ne l’avez dit, mais avec une gravité et des responsabilités qu’il convient d’établir factuellement. Je propose donc que nous réunissions des conditions pour mener ce travail et que nous mettions en place une commission d’historiens qui pourront travailler ensemble. L’intégralité des archives françaises seront ouvertes. Ce serait aussi que nous puissions, dans le cadre de cette commission conjointe, faire travailler des artistes. J’ai été frappé de voir combien des artistes camerounais de la diaspora avaient comme matrice imaginaire cette période. Nous allons fixer un calendrier de travail à cette commission pour qu’elle rende ses travaux dans un calendrier approprié et rapproché, pour qu’on puisse scruter les prochaines années avec de vraies réalisations et un retour sur ces travaux. 

Christelle Méral (France Télévisions) au président Paul Biya :
Le Cameroun a noué un partenariat de défense avec la Russie. M. le président Biya, est-ce que la guerre en Ukraine a des conséquences concrètes sur les Camerounais aujourd’hui ? Est-ce que vous condamnez l’intervention russe en Ukraine ?
Le Cameroun entretient des relations diplomatiques avec la France, bien sûr, mais aussi avec beaucoup d’autres pays (Allemagne, Espagne, Chine, Brésil). S’agissant de la relation avec la Russie, elle est ancienne et nous avons signé avec ce pays un accord de coopération qui était venu à expiration. On l’a renouvelé et nous l’avons signé. Le voyage de mon ministre [de la Défense, ndlr] en Russie n’avait pas de rapport avec la situation de la guerre en Ukraine. Nous avons l’habitude de signer des accords de ce genre. Et en Afrique, il y a beaucoup de pays qui ont des accords avec la Russie. Donc, c’était un acte dans la routine des relations diplomatiques entre nos deux pays. On a pensé que peut-être on allait apporter un concours à la Russie. Je crois qu’elle n’a pas besoin d’un apport du Cameroun. Il s’agissait simplement de renouveler l’accord préexistant. Et donc, tout cela est normal. Les gens sont évidemment préoccupés par la guerre en Ukraine. Nous n’avons pas abordé ce problème et il n’était pas question pour nous de l’aborder. Donc, c’était un acte de pure gestion d’une relation bilatérale. 
Evidemment, le Cameroun commence à subir les effets de cette guerre. Il y a cette inflation galopante qui arrive, des difficultés de transport, l’anxiété des gens. On ne sait pas de quoi demain sera fait. Le Cameroun fera ce qui est en son pouvoir pour hâter la fin de ce conflit et qu’on e...

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