« Rien ne peut justifier les violences faites aux femmes »

Mme Yvonne Léopoldine Akoa, magistrat, vice-présidente de la cour d’appel du Centre, vice-présidente du Tribunal militaire de Yaoundé.

La JIF est observée cette année sous le prisme du digital et des innovations technologiques. Peut-on commémorer cette journée sans parler des violences faites aux femmes ?
C’est exact que le thème de la 38e édition de la Journée internationale de la femme tourne autour du digital et des innovations technologiques, mais si vous regardez très bien les sous-thèmes tels que déclinés par la ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille, vous allez vous rendre compte de ce qu’il y a trois sous-thèmes qui renvoient directement aux violences faites aux femmes : Monde digital et violences, Rôle des communautés dans la lutte contre les violences faites aux femmes, Violences basées sur le genre. Non, on ne peut pas avoir une Journée internationale de la femme, une semaine d’activités sans parler des violences faites aux femmes.

Si l'on se fie aux colonnes de faits divers dans les journaux, on constate que la situation s'est beaucoup dégradée en 2022. La militante des droits de la femme que vous êtes confirme-t-elle la situation ?
C’est vrai que nous n’avons pas de statistiques 2022 à date, mais le nombre de femmes qui ont perdu la vie suite aux violences exercées sur elles par l’époux, le concubin, le petit-ami n’a pas baissé malheureusement.

Qu'est ce qui l’explique : les lois ne sont-elles pas assez ou suffisamment appliquées pour décourager les contrevenants et circonvenir le fléau ?
La réponse à votre question va se situer à deux niveaux. Les lois ne sont-elles pas assez ou suffisamment appliquées ? Nous avons au Cameroun un arsenal juridique dont nous pouvons être fiers en matière pénal, particulièrement depuis la révision du code pénal en 2016. Avec la répression des infractions comme la répudiation, les mutilations génitales féminines, l’atteinte à la croissance d’un organe comme le repassage des seins chez la jeune fille pubère. Nous ne pensons pas qu’il s’agit du cadre juridique. Nous pensons seulement que les femmes victimes de violences ont encore peur de briser le silence. Une femme mariée, quel que soit son niveau d’études –il faut le dire, les violences faites aux femmes touchent toutes les couches sociales : jeunes, moins jeunes, belles, moins belles, celles qui ont un niveau intellectuel très élevé comme les illettrées, noires, européennes…- a encore honte de dire qu’elle est victime de violences. Elle pense qu’on va se moquer d’elle. Généralement, quand elle va se plaindre d’abord dans son milieu familial, sa mère va lui dire : « Ecoute, moi-même j’ai supporté. Tu vas nous faire honte ».  Jusqu’au jour où elle va perdre sa vie, elle aura une fracture ou sera handicapées à vie, et il n’y aura plus que des regrets. Donc, brisez le silence. On ne peut pas vous aider tant que vous ne parlez pas. C’est vrai également que l’autre problème, c’est l’accompagnement des femmes victimes de violences : elle veut bien se plaindre, mais c’est le bourreau qui a les revenus. Elle n’est pas autonome et demeure avec son bourreau parce qu’elle n’a pas de plan B. Je sors d’un séminaire à Dakar où l’expérience du Gabon présentée par les participants de ce pays m’a parlée. Ce pays voisin a un centre d’accueil pour les femmes victimes de violences depuis octobre 2022. Ce centre qui dispose d’une capacité de 200 lits, pour un séjour de trois à six mois, non seulement accueille les victimes, mais dispose de relais auprès des associations où il y a des femmes huissiers, médecins qui peuvent accompagner les victimes. La synergie autour du centre fait en sorte que lorsque vous êtes prise en charge, vous êtes suivie par un psy, vous avez un avocat qui vient… Tous les frais sont payés par l’Etat. C’est vraiment une bonne pratique à partager, car c’est du concret.

Est-ce à dire que pour nous au Cameroun, le combat est perdu d’avance ?
Certainement pas. Les problèmes sont identifiés, il faudrait y apporter des réponses. Il faut faire davantage de sensibilisation auprès de la dame qui ne parle pas, pour qu’elle puisse briser le silence : il faut lui dire que ce n’est pas de sa faute. Parce que l’un des problèmes également c’est que le coaching n’est pas très bien fait. Lorsqu’une femme victime de violences va rencontrer une personne censée l’accompagner, et que la question « pourquoi avez-vous été battue ? » lui est posée, cela suggère dans son esprit qu’en fait, il existe même une possibilité qui peut donner l’ouverture à ce qu’elle soit battue. Non, il n’y a pas de pourquoi ! Aucune femme, aucune fille ne doit être battue, tout simplement ! J’aime à dire que si votre mari vous a trouvé en situation qu’il estime extrêmement préjudiciable pour lui, il peut demander le divorce, c’est tout ! Rien de rien ne peut justifier les violences faites aux femmes.

Nous sommes en 2023. Quelles perspectives pour la protection des droits des femmes au Cameroun ?
Nous ne pouvons parler de perspectives pour la protection des droits de la femme au Cameroun sans parler de l’avant-projet du Code des personnes et de la famille. Je repose la problématique. Nous avons au Cameroun, le Code civil de 1804 que nous appliquons qui contient des dispositions discriminatoires à l’&ea...

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