« Il est indispensable de créer une structure dédiée »

Dr Albert Ze, spécialiste en Economie de la santé

La Couverture santé universelle est mise en œuvre depuis le 12 avril 2023. Comment appréciez-vous son impact actuel ? 
Avant tout, il faut être clair : la Couverture Santé Universelle (CSU) n’est pas un dispositif à déployer, mais un objectif de société à atteindre. Or, malgré quelques initiatives au cours des deux dernières années, le constat reste sans appel : le chemin est encore immense. Il est d’ailleurs difficile de parler sérieusement d’avancée vers la CSU en l’absence d’une loi-cadre pour en définir la vision, les responsabilités et les mécanismes. L’étude que nous avons réalisée cette année, évaluant la trajectoire du Cameroun depuis 2016, révèle un taux de progression de seulement 6,4 % — un niveau extrêmement faible au regard des enjeux. Les freins identifiés sont majeurs : une compréhension incomplète du concept de CSU, encore réduite à la seule question du financement, au détriment de l’accès et de la qualité des services ; un modèle focalisé sur la dimension financière du risque maladie ; une absence d’adaptation réelle au contexte et aux spécificités du système de santé camerounais. Quant aux actions du ministère de la Santé, il ne s’agit pas d’une transformation vers la CSU, mais plutôt de l’élargissement de programmes existants. Cela dit, leurs effets sont tangibles : les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans en bénéficient particulièrement grâce au projet Chèque Santé et aux interventions de lutte contre le paludisme. En résumé, la CSU au Cameroun reste à construire : le potentiel est là, mais les fondations normatives, stratégiques et structurelles restent à poser.


Pour le moment, le programme ne touche que les femmes enceintes, les enfants âgés entre 0 à 5 ans, les malades sous hémodialyse, etc. Est-ce que l'option de modèle réduit peut s'expliquer pour un début ? 
Comme indiqué précédemment, le modèle actuellement en place ne relève pas de la Couverture Santé Universelle (CSU) à proprement parler. Il s’agit plutôt de l’élargissement de programmes de santé préexistants, ce qui explique leur format restreint et leur portée limitée, puisqu’ils avaient été initialement conçus pour des objectifs spécifiques. Pourtant, les travaux menés par le Groupe technique en 2017 avaient prévu une véritable phase pilote de la CSU, intégrant l’ensemble des mécanismes innovants définis à cet effet. Cependant, cette ambition est restée largement inaboutie en raison de l’absence d’un cadre juridico-institutionnel, indispensable pour définir officiellement le contenu, les responsabilités et les modalités de mise en œuvre de la CSU au Cameroun. 


Pour la mise en place de la CSU, on s'est appuyé sur des facilités qui existaient déjà (chèque santé) Comment mettre en place le reste du système de manière à toucher toutes les maladies, toutes les couches de la population ?
Il est important de rappeler que la Couverture Santé Universelle (CSU) n’a pas vocation à prendre en charge l’ensemble des maladies. C’est précisément pour cette raison que des programmes spécifiques continuent d’exister en parallèle. L’enjeu majeur réside donc dans la sélection rigoureuse des pathologies prioritaires. Dans cette optique, le Groupe technique avait déjà conduit un travail approfondi, aboutissant à la validation d’une liste d’environ 182 maladies prioritaires. Toutefois, au regard des contraintes de ressources, il est évident qu’une couverture immédiate de l’ensemble de ces pathologies n’est ni réaliste ni envisageable dès le démarrage. D’où la nécessité d’une phase pilote, étape incontournable pour tester et valider le modèle le plus adapté, affiner les stratégies et sécuriser une montée en charge progressive et maîtrisée. Pour rendre ces mécanismes pleinement fonctionnels, il est indispensable de créer une structure dédiée au sein du système de santé, dotée des capacités techniques et organisationnelles nécessaires pour coordonner, réguler et assurer la mise en œuvre opérationnelle de la CSU.


Quel est selon vous, le modèle le plus approprié pour le Cameroun en termes d'architecture du système ? 
Depuis plusieurs décennies, le Cameroun multiplie les politiques de santé pour atteindre différents objectifs. Pourtant, le constat est clair : la plupart de ces ambitions n’ont pas abouti. L’une des causes majeures tient au fait que ces politiques n’étaient pas adaptées au contexte national, car largement inspirées de modèles importés. À cela s’ajoute un système orienté principalement vers le curatif, alors qu’un véritable système de santé repose sur un équilibre entre prévention de la maladie, la promotion de la santé et les soins curatifs. Accélérer la marche vers la Couverture Santé Universelle (CSU) exige donc une refonte profonde de l’architecture du système de santé, afin qu’elle soit alignée sur les besoins réels du pays et sur les exigences de la CSU. Il est essentiel de rappeler qu’une réforme copiée à l’identique d’un modèle étranger est vouée à l’échec : chaque pays possède ses propres réalités, et c’est en intégrant ces spécificités que le Cameroun pourra construire une structure nationale solide et durable.


Quel modèle de financement pourrait correspondre à cette option ? 
À l’heure actuelle, au regard du contexte économique, il devient indispensable d’adopter une stratégie de financement de la santé qui soit locale et autonome. Autrement dit, le Cameroun doit réduire autant que possible sa dépendance aux appuis extérieurs — un...

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