Dévaluation du franc CFA: comment une option inopportune a été écartée

Depuis quelques mois, une rumeur pernicieuse, alimente les réseaux sociaux et les médias sur une prochaine dévaluation du Franc CFA. Le dossier technique justifiant une telle décision aurait été minutieusement préparé par les fonctionnaires du Trésor du ministère français de l’Economie et des Finances et, transmis discrètement à Monsieur le Président de la République française Emmanuel Macron, à qui reviendrait la décision finale. Convient-il, toutefois, de rappeler que, selon les statuts de la Zone Franc, la décision de la modification de la parité du Franc CFA par rapport à l’Euro, monnaie d’ancrage depuis Janvier 1999, exige l’unanimité des Etats membres représentés au plus haut niveau. Les mêmes réseaux sociaux et médias relayent les propos qui seraient attribués à Monsieur Emmanuel Macron par lesquels, le Président Français laissait transparaître son exaspération devant la virulence des termes utilisés dans le débat en cours, qui ferait de la Zone Franc la principale source des difficultés des économies des pays membres africains. Il laissait ainsi, la liberté à chaque Etat membre, comme le prévoit d’ailleurs les statuts, en cas de nécessité, d’engager ou non leur responsabilité. Peu importe, que ces informations soient vraies ou fausses, elles sont toutefois susceptibles d’impacter négativement l’environnement économique en influençant par exemple les anticipations, c’est-à-dire les prévisions des agents économiques. En effet, la théorie économique nous enseigne à travers les anticipations auto-réalisatrices, que les agents économiques, en croyant à la survenance d’un évènement, mettent en place des stratégies pour s’y prémunir et finalement, précipitent la réalisationde celui-ci. Dit plus simplement, dans le contexte actuel, les rumeurs d’une dévaluation avenir du Franc CFA peuvent conduire les agents économiques, comme ce fut le cas peu avant1994, année de la dernière dévaluation, à se protéger en vendant des Francs CFApour acquérir les devises internationales. Ce comportement va, à son tour, accélérer la dégradation des conditions macro-économiques, épuiserdavantageles réserves de changes et, à terme, aboutir finalement à une dévaluation.

Pourtant, réunis en décembre 2016, dans un contexte de baisse des cours de matières premières, Son Excellence Paul Biya, président de la République du Cameroun et ses homologues de la CEMAC, qu’accompagnaient les principaux partenaires au développement la France d’une part, à travers son ministre des Finances et, le FMI d’autre part, à travers sa Directrice générale, avaient clairement écarté le bienfondé d’une dévaluation, tout en s’accordant pour un ajustement réel à travers un ensemble de vingt et une mesures afin de redresser la situation économique de la CEMAC, jugée de manière assez consensuelle préoccupante. Ce choix, compte tenu des différences de conjoncture observée entre les pays de la CEMAC, ouvrait la voie à des négociations bilatérales avec le FMI, devant conduire à la signature de nouveaux programmes ouvrant la voieà l’accès à des ressources financières nouvelles. De même, la volonté de renforcer le processus d’intégration régionale avait, une fois de plus, été réitérée avec des orientations claires et fortes sur la nécessité d’accélérer la mise en œuvre du Programme Economique Régional (PER), tout en engageant sans délais sa relecture en vue de son actualisation. 

L’objectif de cette tribune est de conforter la position des chefs d’Etats enjustifiant théoriquement et empiriquementle caractère inopportun de la dévaluation. Je le fais en trois temps et de la manière suivante. Je rappelle tout d’abord, brièvement, les arguments théoriques qui justifient la décision d’une dévaluation, ainsi que les conditions de sa réussite. Je montre ensuite que ces conditions sont bien loin d’être réunies pour les pays de la CEMAC. Je considère, enfin, que l’accord signé entre le Cameroun et le FMI, constitue une caution qui crédibilise les efforts réalisés par le gouvernement dans la mise en œuvre, depuis plusieurs années de son programme économique. Je conclus sur quelques suggestions.

Les effets théoriques d’une dévaluation

Le taux de change est défini comme le prix relatif d’une monnaie nationale par rapport à une autre. Il est en équilibre lorsqu’il garantit sous certaines conditions, la parité des pouvoirs d’achat c’est-à-dire le même niveau de vie entre les principaux partenaires commerciaux. Mais, du fait des fortes variations dues à l’évolution des fondamentaux économiques et divers chocs exogènes et endogènes, le taux de change est rarement à l’équilibre. Il arrive, le plus souvent, qu’il s’écarte durablement de son niveau d’équilibre en s’appréciant ou en se dépréciant.Ainsi, selon les cas, le pays peut recourir soit à une dévaluation/réévaluation dans le régime de change fixe comme c’est le cas actuellement entre le Franc CFAet l’Euro, ou à une dépréciation/appréciation dans le régime de change flexible comme par exemple entre l’Euro et le Dollar. Dans tous les cas, les effets attendus sont les mêmes à savoir le rétablissement de l’équilibre extérieur et la reconstitution progressive des réserves de change. Cela est rendu possible par la réalisation simultanée de deux effets selon l’horizon temporel. A court terme, c’est l’effet prix qui se produit. Il se traduit principalement par une augmentation des prix des biens importés sur le marché national et simultanément une diminution des prix des produits nationaux sur les marchés des pays concurrents. A moyen et long termes, la dévaluation agit sur les volumes produits. En effet, le renchérissement des prix des produits importés provoque une baisse des importations, tandis que les exportateurs tentent de mettre à profit la baisse relative de leurs prix pour reconquérir les parts de marché perdues avant la dévaluation, à condition que les produits soient compétitifs. Ces deux effets prix et volume, définissent ce qu’on appelle dans la littérature, la courbe en J, qui traduit la détérioration de la balance commerciale qui survient immédiatement avec la dévaluation (effet prix), suivie d’une amélioration (effet volume). Toutefois pour que la dévaluation ait des chances réelles de succès, il faudrait qu’au moins deux conditions complémentaires soient simultanément remplies. Premièrement, l’économie nationale doit disposer d’une base productive suffisamment diversifiée etproduire des biens concurrents. La dévaluation dans ce cas vise à corriger les variations du prix, et permettre aux entreprises nationales de reconquérir les parts de marché perdues. Deuxièmement, les entreprises nationales doivent disposer des capacités de productions oisives, pour prendre immédiatement le relai, à un coût raisonnable, des produits internationaux devenus plus chers. A défaut, elle se traduit par un creusement du déficit commercial, une forte l’inflation, et un approfondissement des égalités et de la pauvreté.

Les économies de la CEMAC font face à plusieurs chocs

Les pays de la CEMAC sont, depuis quelques années, exposés à plusieurs chocs négatifs. La dévaluation en serait un de trop. L’expérience de celle de 1994 est assez instructive. Les effets escomptés n’ont pas été atteints. Le rétablissementobservé des équilibres extérieurs n’a été possible que grâce à un apport de capitaux extérieurs et à une évolution favorable des prix des matières premières. Pour la suite, j’évoquetrois évidences empiriques qui montrent l’inopportunité de la dévaluation.

Premièrement, l’ancrage du Franc CFA à l’Euro lui assure en permanence une cotation stable, et est un élément de confiance en matière de stabilité monétaire. Il contribueà réduire les anticipations inflationnistes des agents économiques. Mais, en cas d’appréciation/dépréciation de l’Euro vis-à-vis des principales devisesmonnaies du monde, le niveau de parité est remis en cause. Par exemple, la dépréciation actuelle de l’Euro vis-à-vis du Dollar américain correspond à une dévaluation indirecte partielle du Franc CFA, facteur d’amélioration de la compétitivité.Cet effet est atténué par la baisse des prix des matières premières, et par le fait que les pays de la CEMAC sont «preneurs de prix» sur les marchés internationaux, contrairement aux pays développés qui sont «...

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