L’appel de l’Afrique

Un périodique français titrait il y a quelques mois, dans l’une de ses éditions thématiques : « Accords de partenariat économique : le baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique ». Ce jugement pour le moins tranché s’employait à démontrer l’iniquité des accords de partenariat économique entre l’Europe et l’Afrique, en stigmatisant à travers eux une mort programmée de l’industrie du continent. Le débat en Afrique même ne passionna pas outre-mesure les foules, en dehors du cercle économico-médiatique. Car s’il est vrai que ce partenariat a un impact réel sur les économies de nos pays – positif ou négatif, c’est selon – le sujet en lui-même demeure trop spécialisé, et donc, hermétique. Mais alors que ces accords tentent de s’imposer au milieu des résistances nationales et sous-régionales, voici que l’Union africaine annonce le décollage de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) avec la ratification de 54 Etats membres sur 55. 
Le projet, utopique il y a encore deux ans, cerné longtemps par le scepticisme des uns, le fatalisme des autres, a pris corps contre toute attente, comme poussé par des ailes invisibles. Le plus jouissif, si l’on peut s’exprimer ainsi, ce n’est pourtant pas les retombées économiques attendues de cette zone de libre-échange, mais la volonté ainsi affichée de construire ensemble un cadre d’échange, un espace commercial unique avec des règles harmonisées. Ce qui fait sens et marque l’histoire en même temps, c’est l’option sans précédent de l’Afrique de fraterniser avec l’Afrique. Et le resserrement des liens multiformes entre Etats, entreprises et hommes d’affaires, qui se profile.
Alors que la colonisation avait défini des aires économico-géographiques extraverties, tournées vers l’ancienne métropole –Afrique anglophone, francophone, lusophone, arabe - et pour ainsi dire à son service, les leaders de l’Afrique d’aujourd’hui choisissent, la « metanoïa », terme grec signifiant le retournement complet sur soi-même. Pour sonder le nombril et le cœur du continent. Pour se ressourcer et dessiner une nouvelle perspective où l’Afrique se présenterait comme une entité, un espace unique mais pluriel. Sans doute les générations actuelles, qui n’ont appris l’histoire de la colonisation du continent qu’à travers les livres, et celle encore plus chaotique de l’après-indépendance, ne mesurent pas encore le caractère symbolique et iconoclaste de ce qui se laisse appréhender comme une simple zone de libre-échange, à l’heure du libéralisme triomphant. Mais lorsqu’on considère l’idéologie post-coloniale qui a maintenu le cordon ombilical avec l’Europe par toutes sortes de mécanismes institutionnels et financiers, et qui rendait ainsi plus naturelle pour tout pays africain la coopération avec l’Europe plutôt qu’avec ses voisins immédiats, la ZLECA apparaît comme une petite révolution. Comme si les Africains avaient décidé de modifier le logiciel qui encadre ces relations, et comme si nos dirigeants avaient enfin réussi à arracher leurs masques blancs. Allusion au célèbre ouvrage de l’essayiste martiniquais Frantz Fanon, qui flétrissait les comportements des colonisés singeant le colonisateur dans « Peau noire, masques blancs. » Dans un tel contexte, certains pays africains avaient même tenté sans succès, d’adhérer à l’Union européenne, avant de ravaler leur déception. Mais l’Histoire était en marche…
En faisant observer le symbolisme fort autour de la ZLECA, nous ne faisons aucunement l’impasse sur les difficultés qu’elle est appelée à vivre, ni sur le temps nécessaire, certainement long, qu’il faudra pour créer harmonie et fluidité dans cette zone de libre-échange, au milieu des forces centrifuges toujours à l’œuvre. Sans minimiser ces écueils, il est clairement du devoir de la société civile et des médias de soutenir et d’encourager les actes perçus comme des bons points dans le travail de construction de la conscience africaine. Au moment où d’autres observateurs, conscients eux-mêmes des conséquences sur ses partenaires traditionnels d’une intégration de l’Afrique, s’emploient à exagérer les obstacles et à disqualifier l’initiative. C’est de bonne guerre.
On l’aura bien compris : ce qui est important à ce stade, c’est la volonté politique. Car pour transformer cet acte fondateur en essai gagnant, le continent aura bien besoin de tous ses enfants, de chaque pays, de l’adhésion voire de l’adoubement populaire autour de ce processus, qui peut être perçu comme le début d’une nouvelle ère : celle de l’affirmation de soi. Comme dans toute organisation, les têtes de proue constitueront la force de traction du mouvement. Ainsi du Cameroun. Membre fondateur de l’Organisation de l’Unité africaine à qui il a donné deux secrétaires généraux, le Cameroun a continué à jouer un rôle actif à l’Union africaine. Un haut-cadre camerounais, Pierre Moukoko Mbonjo, a d’ailleurs dirigé l&rsq...

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