« Cheikh Anta Diop a eu une prémonition »

Pr. Jean-Emmanuel Pondi, universitaire et auteur de l’œuvre « Cheikh Anta Diop dans la sphère des relations internationales ».

Vous venez de publier l’ouvrage « Cheikh Anta Diop dans la sphère des relations internationales ». Pourquoi avoir choisi de vous appesantir sur ce savant sénégalais, fervent adepte du panafricanisme ?

Les écrits que je connais sur Cheikh Anta Diop et la plupart des analyses qui sont faites sur lui s’attardent surtout sur Cheikh Anta Diop l’égyptologue, l’anthropologue, le sociologue, le linguiste, le chimiste, le physicien, l’historien et bien d’autres aspects. Mais je n’ai pas encore vu un travail qui se focalise sur sa contribution en tant que penseur des relations internationales. Or, il m’a semblé qu’il y a beaucoup de travaux de Cheikh Anta Diop qui sont naturellement très pertinents et qui ont trait directement à la science politique ou aux relations internationales. J’ai donc voulu m’appesantir sur ce volet, pour le mettre en exergue et montrer quelle a été sa contribution, une vieille contribution, qui date au moins de 1948. Donc, Cheikh Anta Diop se penchait déjà sur la question. C’est un panafricaniste bien sûr, mais ce n’est pas le premier panafricaniste. Les premiers panafricanistes étant ceux qui ont écrit autour  de 1902-1903 aux Etats-Unis d’abord, et dans les Antilles après.  

Dans le contexte actuel de la mondialisation, comment la vision des relations internationales selon Cheikh Anta Diop peut-elle être logiquement appliquée ?

D’abord, il faut commencer par la définition même de la mondialisation, telle qu’elle a été énoncée au début des années 90. Beaucoup d’analystes se penchent davantage sur un aspect de la définition tout en oubliant un deuxième volet qui est dans la même phrase. La mondialisation fut définie comme étant la globalisation des marchés financiers grâce à l’interaction des ordinateurs, donc de la sphère du cyberespace, mais aussi la fragmentation identitaire et religieuse. Donc, le volet globalisation a été mis en avant, mais pas l’aspect fragmentation. Et je crois donc qu’il est important de voir que, avec cette mondialisation s’accompagne une fragmentation due surtout aux replis identitaires, aux replis religieux, mais également aux replis culturels et civilisationnels. Alors, c’est en cela que Cheikh Anta Diop doit être convoqué, parce que justement toute son idée c’était de dire que l’unité du continent africain doit reposer principalement sur les civilisations plurielles du continent, sur ses cultures plurielles prises sous leur aspect de symbiose.

Vous mentionnez cette vision avant-gardiste des relations internationales selon Cheikh Anta Diop émise depuis plus de 60 ans, mais s’adapte-t-elle réellement aux besoins de l’heure du continent ?

Qu’est-ce qu’on entend par avant-gardiste ? Ça dépend de qui analyse. Ce que vous considérez comme avant-gardiste peut être considéré comme arriéré par un autre. Ça dépend du moment, ça dépend de l’analyste, ça dépend de sa propre trajectoire. Alors, l’un des aspects que je mets en exergue, c’est ce plan d’industrialisation de l’Afrique qu’il propose. Avec des données très précises, il fait un répertoire des minerais dont dispose l’Afrique. Des richesses minières, des richesses énergétiques, qu’elles soient hydraulique, solaire ou éolienne. Aujourd’hui, nous parlons de l’énergie verte, mais il en parlait depuis longtemps. Et il demandait que l’Afrique se lance dans son exploitation. Le plus important c’est qu’il va indiquer les endroits où les usines devraient être érigées. Et il dit également qu’est-ce que ces usines devraient produire. Il préconise que l’Afrique produise des automobiles, des avions. Et ce faisant, Cheikh Anta Diop va changer la place de l’Afrique dans l’économie mondiale, celle de consommatrice des biens produits par d’autres. Cheick Anta Diop conteste cela en positionnant l’Afrique comme productrice des biens et services modernes. Nous sommes en 1960, et vous voyez bien, si cela avait été fait, on n’aurait pas seulement 15% de la production africaine  qui circule entre pays africains. On aurait une très grande production à l’intérieur de l’Afrique, mais aussi entr...

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